Carte ou passe-partout ?
Par Kamel Moulfi – La réglementation de la délivrance de la carte de journaliste va-t-elle mettre de l’ordre dans la maison de la presse ouverte aux quatre vents ? Pour perdre ses illusions, il suffit de lire le premier mot – «avantages», au pluriel – de l’article 6 du projet proposé par le ministère de la Communication : «Les avantages auxquels donne droit la carte nationale de journaliste professionnel sont fixés par arrêté interministériel et/ou par des conventions ou accords signés avec les institutions ou entreprises ou groupes d'entreprises concernées.» La carte nationale du journaliste professionnel donne droit à des avantages qui sont généralement des tarifs étudiés comme c’est le cas pour Algérie Télécom qui consent une réduction de 20% sur l’abonnement d’internet sur présentation de l’attestation de travail et de la copie de ce qui est appelé non pas carte professionnelle mais badge. Il peut y avoir aussi la gratuité d’accès à des spectacles ou à des transports, ou à d’autres services payants. Les impôts pourraient être plus légers pour celui qui a la carte de journaliste par rapport à celui qui ne l’a pas. Le contenu économique de la carte de journaliste est évident et on peut deviner qu’elle pourrait être «négociée» comme le sont les multiples sources de rente qui profitent indûment le plus souvent à des privilégiés pour peu qu’ils aient les relations qu’il faut dans ce milieu. Cet article 6 risque de faire oublier l’article 5 qui concerne la raison d’être de la carte professionnelle : donner au journaliste une carte d’identité spéciale qui lui permet d’exercer dans les meilleures conditions son métier. Certes, l’établissement de la carte est subordonné à un critère : le journalisme doit être la profession principale, régulière et rétribuée, ce fait étant attesté par un contrat de travail (pour le journaliste attaché à un employeur) ou une déclaration sur l’honneur (pour le journaliste indépendant ou freelance). Le reste, notamment ce qui relève de l’éthique et de la déontologie, du métier est mis de côté. Est-ce juste ? Pourtant, cette deuxième balise concernant les valeurs paraît nécessaire s’agissant d’un métier très sensible et possédant un impact très fort dans l’opinion publique. Le projet ne sous-estime pas totalement cet aspect essentiel du métier de journaliste puisque «la Commission peut/doit tenir compte des décisions et avis du Conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie de la profession de journalisme». La carte de journaliste risque de n’être perçue que comme une pièce permettant d’entrer où l’on veut et d’avoir quelques avantages non négligeables.
K. M.
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