Adieu l’artiste
Par Kamel Moulfi – On pourrait le qualifier de pionnier de la deuxième génération dans le monde du théâtre algérien, celle d’après l’indépendance. M’hamed Benguettaf a accompagné la nouvelle vie du théâtre algérien et a contribué à son essor et à sa grandeur, après avoir pris le relais des pionniers de la première génération qui avaient lancé cet art dans notre pays alors sous occupation coloniale dans les années 30 du siècle dernier. Après une carrière qui a duré 50 ans, M’hamed Benguettaf part satisfait – sans aucune amertume, ce qui est rare chez les artistes – non pas pour avoir réussi «socialement» ou pour avoir accumulé quelque richesse matérielle, mais pour le travail qu’il a accompli au service du théâtre. Il part avec l’image de la relève qu’il a laissée parmi les jeunes qui ont repris le flambeau, comme lui-même l’avait fait en 1963. Car, il faut le souligner, c’est également rare de nos jours, M’hamed Benguettaf a donné leur chance aux jeunes qui ont du talent pour qu’ils soient demain les metteurs en scène et les dramaturges dont le pays a besoin. C’est peu dire qu’il a consacré sa vie à cet art. D’extraction populaire, né et élevé dans le quartier de La Glacière, à Hussein Dey, connaissant parfaitement la société algérienne dans ses profondeurs, autodidacte et très féru de lecture, il était fait pour cet art, proche du peuple. Dans les années 1990, menacé par les intégristes pour qui le théâtre est haram et ses acteurs passibles de mort, il a été poussé à l’exil, échappant ainsi à l’assassinat qui n’a pas épargné ses collègues comme Abdelkader Alloula, Azeddine Medjoubi et d’autres. Cela aussi ne doit pas être oublié : les artistes ont été en première ligne dans le combat contre l’intégrisme. En contrepartie, quel sort est fait à cette partie de la société qui travaille à maintenir et développer la culture algérienne ? Quand les artistes sont en attente d’un contrat, ils pensent à leur situation sociale et à leurs difficultés matérielles. Les uns, «indépendants», sont dépourvus de toute couverture sociale (assurance-maladie, retraite), les autres, plus chanceux, «fonctionnaires», sont toujours dépendants de l’avancement administratif et bureaucratique qui améliorerait tout juste un peu leur salaire. Certes, la vie des artistes qui évoluent dans le monde du théâtre n’a jamais été celle des princes, mais chez nous, où les ressources financières ne manquent pas, ils méritent une vie plus décente. Les exemples de cas d’artistes morts dans la précarité la plus totale, sans le sou, comme on dit, sont fréquents. C’est une honte.
K. M.
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