Claironnez, claironnez !
Par M. Aït Amara – «Nombre de journaux disparaîtraient si l'Etat arrêtait l'octroi de la publicité.» Dixit Hamid Grine, parachuté ministre de la Communication on ne sait – toujours pas – par quel génie. Par «Etat», dawla,il faut comprendre «moi», bien sûr. C’est que, dans le système politique algérien, quand un responsable de l’acabit de Grine prononce ce mot, il pointe l’index d’un geste simultané et spontané vers sa petite personne, par un réflexe acquis. Et, quand Grine décrète que sans la publicité que lui, l’Etat donc, distribue aux titres qui la mendient – c’est ce qu’il insinue –, ces derniers mettraient tous la clé sous le paillasson, il sait ce qu’il dit ; non qu’il soit capable de fermer le robinet, mais parce qu’il ne connaît que trop bien le cortège des directeurs des publications dont il remplissait le bec pour qu’ils ferment les yeux sur les manigances de ses anciens employeurs de Djezzy, dont l’un gambade librement quelque part au Caire alors qu’il est censé se trouver derrière les barreaux à Alger. Il sait, lui qui régissait la publicité de l’opérateur égyptien, combien ont touché ses anciens complimenteurs et ce qu’ils ont fait de cet argent. Mais là où Hamid Grine a raison, c’est que les journaux, tous les journaux, les anciens comme les nouveaux, ne peuvent vivre que de la manne publicitaire. Un tour chez les buralistes, en fin d’après-midi, donne un aperçu clair sur la désaffection des lecteurs vis-à-vis de la presse papier. Des plis entiers jaunis par le soleil ou éclaboussés par la pluie gisent, inintéressants, sur les étals achalandés de quotidiens aussi ignorés les uns que les autres. Les jours de la presse écrite sont comptés, si bien que ni Grine ni ceux qui l’ont nommé n’ont besoin de quelque instrument pour la bâillonner, tant elle s’étrangle toute seule. Devant ce sombre postulat, la sentence de Hamid Grine mérite qu’on lui lance cette apostrophe : pourtant, sans les journaux et les médias que vous vilipendez, le ministère aux destinées duquel vous présidez éphémèrement serait relégué au rang de bureau dans une administration locale en charge d’une agence de presse, de deux journaux publics effacés, d’une radio sans relais et d’une télévision format parti unique. Aussi, au lieu de porter des jugements à l’emporte-pièce et sans discernement sur une corporation qui ne vous reconnaît aucun mérite, portez devant les tribunaux les cas des directeurs de journaux fantomatiques pour qui l’Anep est une machine à sous qui leur a permis d’acquérir des biens immobiliers en France, en Espagne et ailleurs, et de ceux qui ont plongé leur cuiller dans la soupe flottante servie par des officines étrangères aux desseins suspects. Jugez ces rapaces qui ont sali le métier au lieu de noyer le poisson en brassant des discours ronflants où s’entremêlent les menaces fanfaronnes et les congratulations tartuffardes. Si vous avez l’intention de sauver la presse nationale d’une faillite programmée, faites le grand ménage et séparez le bon grain de l’ivraie ! Alors, seulement, vous trouverez les honnêtes membres de la corporation à vos côtés. Mais vous connaissant, nous savons à l'avance que vous ne ferez rien.
M. A.-A.
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