Honte à nous !
Par Kamel Moulfi – Notre presse est dans tous ses états. Elle n'a jamais connu une situation aussi lamentable, aussi funeste. La corporation a malheureusement perdu l'aura et le respect qu'elle avait gagnés durant la décennie de sang où les journalistes tombaient au champ d'honneur pour la liberté. Soyons francs : nous ne faisons plus honneur aux martyrs de la profession ! Honte à nous ! Quand on fait le bilan, à quoi a servi la presse ? A offrir des pages entières achetées par des annonceurs publicitaires pour des produits importés qui n’ont servi en rien le décollage de l’économie nationale et sa sortie de la dépendance des hydrocarbures. Une «prospérité partagée» consentie par des importateurs algériens et des fournisseurs étrangers a provoqué l’enrichissement d’une catégorie de journalistes qui ont fait prévaloir, dès la fin des années 1990, leur statut d’actionnaires et de propriétaires de journaux sur la vocation professionnelle qui avait motivé le choix de cette carrière, puis sur l’aventure intellectuelle dans laquelle les a poussés l'ouverture du champ médiatique en 1990. Au lieu de contribuer à renforcer et ancrer définitivement la liberté de la presse, l’aisance financière subite de certains titres a aiguisé l’appétit du gain facile qui a créé, au contraire, les conditions de l’enlisement dans la dépendance à l’égard des milieux d’affaires, «annonceurs publicitaires». La presse, devenue support publicitaire, a perdu son indépendance et les journalistes leur liberté d’expression. Comment en est-on arrivés là ? C’est la question qui tarabuste les lecteurs. Ils constatent la chute vertigineuse dans la qualité et la disparition des fondamentaux du métier qui ont fait naître par le passé, chez le lectorat, un courant de sympathie et de solidarité salutaire au moment où les journalistes affrontaient courageusement le terrorisme qui a assassiné nombre de confrères, tout en subissant la censure qui les a souvent conduits devant les tribunaux, à la prison même, et, au moins, à la suspension de leurs journaux. Mais le pire est à venir et il n’aura été engendré ni par le terrorisme ni par le pouvoir, mais par la corporation elle-même.
K. M.
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