France : l’état-major de l’armée se rebelle contre les dirigeants politiques
L’armée est en colère en France. Pendant que les services de renseignements français (DST) coopéraient avec les nôtres dans les années 90 pour combattre les GIA, les politiques et leur appendice, la DGSE, rattachée au Quai d’Orsay, sabotait la lutte antiterroriste presque ouvertement. Le même scénario est en train de se produire en France même : les politiques font de la démagogie en prétendant vouloir combattre le terrorisme et, dans le même temps, privent leurs services de sécurité des moyens nécessaires pour y parvenir.
Contrairement aux années précédentes où elle se contentait de se taire et d’obéir, l’armée française a, cette fois-ci, crié bruyamment au scandale. Et c’est le chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers, qui s’est chargé de réagir avec fracas à la décision du gouvernement d’Edouard Philippe de réduire le budget de ministère de la Défense de près d’un milliard d’euros. Une première en France où les militaires sont pourtant connus pour être disciplinés et respectueux du pouvoir politique. C’est que cette importante coupe aura des répercussions importantes sur la lutte contre le terrorisme que l’armée française est chargée de mener un peu partout dans le monde, notamment dans la région du Sahel.
Auditionné mercredi matin, devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale (Parlement, ndlr), le général Pierre de Villiers s’est, en effet, révolté de la plus brutale des manières. Il a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de laisser le premier trésorier du pays décider. Une colère provoquée quelques jours auparavant par l’annonce du ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, de rogner de 850 millions d’euros le budget 2017 des armées, bien que leurs matériels, notamment ceux de l’armée de terre, soient dépassés.
«Le grand écart entre les objectifs assignés à nos forces et les moyens alloués n’est plus tenable», a assuré le général de Villiers, lors de son audition à huis clos. «On a déjà tout donné», a-t-il martelé, répétant que «l’armée est déjà à l’os, avec des effectifs militaires passés de 241 000 à 203 000 personnes de 2008 à 2015».
Le chef d’état-major des armées françaises a prôné un budget défense de 34,8 milliards d’euros dès 2018 – il est actuellement de 32,7 milliards d’euros –, soit une hausse de plus de 2 milliards, dans la droite ligne de ses préconisations des derniers mois. Mais avec la coupe décidée par le gouvernement, le ministère français de la Défense doit, du coup, financer lui-même ses opérations extérieures en Irak, en Syrie, au Sahel, etc., alors qu’elles sont d’habitude réparties, à chaque fin d’année budgétaire, entre tous les ministères. Et, faute d’argent, il n’est pas interdit de penser que certaines opérations seront annulées.
Le rappel par Emmanuel Macron de son objectif de parvenir à un budget de la défense de 2% du PIB à l’horizon 2025 n’a pas suffi à calmer Pierre de Villiers qui a vu son mandat prolongé d’un an à la tête des armées. L’amputation de ces 850 millions d’euros pourrait le pousser à prendre sa retraite plus tôt que prévu. La grosse colère du plus haut gradé français n’a rien d’étonnant. Pierre de Villiers avait fait de l’obtention de moyens suffisants pour les armées la condition de sa prolongation d’un an comme chef d’état-major.
En décidant de réduire le budget accordé à son ministère de la Défense, le gouvernement français pourrait bien avoir à l’idée d’obliger ses partenaires au Sahel et ailleurs de mettre la main à la poche dans la lutte contre le terrorisme. Cela expliquerait, d’ailleurs, pourquoi l’Elysée et le Quai d’Orsay ont fait des mains et des pieds pour faire financer la force du G5 Sahel par l’ONU. C’est qu’ils veulent rétablir les équilibres budgétaires de la France sur le dos de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme.
Le bras de fer entre l’état-major de l’armée et les décideurs politiques ne fait que commencer. Jusqu’où iront les militaires dans leur revendication ?
Sadek Sahraoui
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