Libye : pourquoi la rencontre d’Al-Sarraj et Haftar à Paris est un fiasco
En réussissant, mardi, à réunir dans une même salle du château de La Celle Saint-Cloud, dans les Yvelines, Fayez Al-Sarraj, à la tête du Conseil présidentiel libyen, et le maréchal Khalifa Haftar, commandant en chef de l’Armée nationale libyenne (ANL) qui contrôle l’est et le sud du pays, et en les persuadant surtout «d’agréer» une déclaration en dix points évoquant la tenue d’élections au printemps prochain, le président français Emmanuel Macron a réussi un joli coup diplomatique.
Peu d’observateurs s’attendaient, en effet, à ce qu’il puisse mettre d’accord aussi vite les deux principaux protagonistes de la crise libyenne. Chemin faisant, ce succès – si l’on peut véritablement parler de succès – lui permettra certainement de gagner quelques points dans les sondages et de faire oublier ses premières déconvenues de politique interne.
L’initiative «macronienne» a-t-elle maintenant quelques chances d’aboutir ? Dans le cas de la Libye, tout le monde sait depuis au moins la conclusion de l’accord politique de décembre 2015 qu’il n’est pas aisé d’amener Al-Sarraj et Haftar à respecter leurs engagements. La question se pose d’autant que les deux figures de proue de la scène politique libyenne n’ont absolument rien signé à Paris. Ils ne se sont donc engagés sur rien. En somme, il n’y a aucune garantie de résultats. Les deux «acteurs» se sont globalement contentés de rappeler les fondamentaux de l’accord de Skhirat, parrainé par l’ONU, selon lesquels «la solution de la crise libyenne ne peut être que politique et passe par un processus de réconciliation nationale associant tous les Libyens».
La seule nouveauté réside dans le fait qu’Al-Sarraj et Haftar se sont engagés à organiser des élections au printemps 2018… dans le cas où les conditions le permettraient. La déclaration fait bien de mettre l’accent sur ce détail, car il n’est pas évident, en effet, que les conditions d’un déroulement d’une élection régulière soient réunies d’ici là. A peine rendue publique, l’initiative française commence déjà à rencontrer ses premiers écueils.
C’est ainsi que les dirigeants du Parti de la justice et de la construction (PJC), réputé proche des Frères musulmans libyens fortement implantés à l’ouest, a rejeté hier en bloc, dans un communiqué rendu public, le plan de paix d’Emmanuel Macron, qu’ils considèrent comme une violation de l’accord politique inter-libyen. Le PJC insiste également sur l’idée que toute modification de l’accord doit se faire sous l’égide de l’ONU et être conforme aux articles du texte signé en décembre 2015.
La même source estime, en outre, que «la rencontre de Paris répond à des agendas extérieurs et est de nature à aggraver les divisions entre les Libyens», précisant que certains pays constituent une partie du problème. Dans la foulée, le PJC a appelé les Nations unies au respect de l’accord inter-libyen, conformément à la résolution 2259 du Conseil de sécurité, et à ne pas tenir compte des initiatives en dehors du cadre onusien. La levée de boucliers du PJC suffit sans doute à marquer le début de la fin de l’initiative française.
A ce propos, de nombreux spécialistes du dossier libyen attirent l’attention sur le fait qu’«Al-Sarraj et Haftar ne sont pas les seuls acteurs de la scène libyenne et que la rencontre de Paris peut aussi bien réussir qu’aggraver la fragmentation du pays». A ce propos, ces mêmes spécialistes soulignent qu’Al-Sarraj n’a pas reçu, par exemple, de mandat de négociation de la part de ses soutiens à Tripoli et à Misrata et qu’à son retour il risque de se faire tirer les oreilles.
Sadek Sahraoui
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