Quand Le Monde diplomatique ressort le vieux cliché périmé du «qui-tue-qui»
L’interdiction en Algérie de l’édition du mois d’août du mensuel français Le Monde diplomatique ne finit pas de susciter des interrogations et des incompréhensions. Les choses deviennent plus claires à la lecture de l’article de Pierre Daum, à l’origine de cette censure.
L’auteur s’est hâté de sortir les vieux clichés du «qui-tue-qui» usités par les cercles anti-algériens pendant les années 1990, avec de légères nuances, en balançant, lorsqu’il évoque, par exemple, le massacre de Bentalha : «Beaucoup d’Algériens sont persuadés –sans aucune preuve à l’appui – que “c’est l’armée qui a organisé le massacre !”»
Intitulée «Mémoire interdite en Algérie», l’enquête tente de comprendre le refoulement des sentiments nés des drames qu’a connus l’Algérie mais use de raccourcis. L’auteur arrive, au bout de son reportage à travers les quelques villages martyrs (Bentalha, Raïs, Had Chekala, Sidi Hamed…) qu’il a visités, à un constat amer, à savoir que la réconciliation nationale a empêché aujourd’hui «tout un peuple de panser ses plaies», avec des intertitres provocateurs, comme celui-ci : «Les islamistes ont perdu la guerre, mais ont remporté les esprits».
Dans sa rétrospective des événements tragiques qu’ont connus ces régions visitées, Pierre Daum écrit : «Les massacres de 1997 offrent les mêmes caractéristiques : aucune enquête de l’Etat, interdiction aux médias d’approcher, nombre de victimes contesté.» Et d’ajouter : «Et parfois sur l’identité des tueurs.»
Au cours de son périple, le reporter fait parler des familles de victimes de ces massacres. Une question revient dans tous les entretiens : «Etes-vous pour ou contre la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ?» Les réponses sont mitigées. Il met l’accent sur la forte présence des islamistes, dans la rue, à l’école, à l’université, «au pied de chaque immeuble». Entre autres aspects d’islamisation de la société algérienne relevés par l’auteur : la multiplication du nombre de mosquées, «avec la bénédiction de l’Etat», citant au passage le projet de la Grande Mosquée d’Alger, ou «la mosquée de Bouteflika, comme tout le monde l’appelle», glisse-t-il encore.
«Au premier abord, cette hyperreligioisité peut surprendre. Comment une société qui a tant souffert de l’islamisme peut-elle en avoir intégré les règles à ce point ?» s’interroge-t-il. Explication d’un psychanalyste rencontré à Alger : «L’islam agit comme un antalgique (aux traumatismes subis). Le problème, c’est que certains antalgiques créent une dépendance forte. C’est le cas de la religion. D’autant plus que quand la vente de cette “drogue” est favorisée par l’Etat.» Le reporter en conclut que «rien n’a été fait pour soigner les traumatismes» : «Le gouvernement, écrit le reporter sentencieusement, n’a jamais songé à permettre aux Algériens – bourreaux et victimes – de parler de cette terrible violence qui les a massivement affectés.»
Autre saillie du long reportage : l’auteur donne la parole, dans des conditions quasi clandestines, à un ex-membre des Phalanges de la mort, Omar Chikhi, qui se plaint des «pressions» qu’il aurait endurées avant de faire un «passage» au maquis. Interrogé, le fils du fondateur du GIA, Abdelhak Layada, chante les louange de son père : «Mon père, pérore-t-il, n’était pas un terroriste, C’est un homme politique opposé au gouvernement, qui a fait de la politique avec des armes, c’est tout.» (sic).
Pierre Daum dit avoir été empêché par la police de rencontrer Abdelhak Layada, avant d’être interrogé pendant deux heures dans les locaux d’un commissariat d’Alger.
Il clôt son reportage par une note pessimiste pour l’Algérie où règne, selon lui, «une peur diffuse», aggravée par les incertitudes politiques autour de la succession du président Bouteflika, «très malade».
R. Mahmoudi
Comment (31)