Aïdek moubarek malgré toi !
Par Youcef Benzatat – Le jour de l’aïd, personne n’échappe à l’uniformisation du sentiment religieux. Que vous soyez un non-croyant ou un croyant en une autre religion, partout où vous croisez des proches ou des inconnus, vous êtes sitôt assailli par la mécanique de saha aïdek ou aïdek moubarek. Cette mécanique, propre aux hommes, vous épargne du moins du sentiment hypocrite de devoir répondre malgré vous à cette intrusion dans votre intimité religieuse lorsque vous rencontrez de rares femmes pressées entre un point de départ et un autre d’arrivée, car elles sont tenues à l’effacement dans l’espace public et donc vous ne risquez pas de vous faire assaillir de la sorte.
Ne pas répondre, parce que vous vous estimez en droit de ne pas vous sentir concerné par cette fête religieuse, parce que vous êtes non-croyant ou croyant en une autre religion qui a ses propres fêtes sacrées, vous expose aux pires invectives, celle de mécréant, de marginal, de voyou et même de communiste, voire d’occidentalisé, d’égaré et de déviant l’uniformité religieuse censée structurer malgré vous le vivre-ensemble !
Pour ceux qui sont moins affectés par ce bigotisme, ceux qui ont la barbe qui pousse à l’intérieur, ils n’hésiteront pas à vous qualifier d’irrespectueux d’une fête nationale, qui transcende par certains de ses aspects le caractère sacré pour être vécue en tant que fête populaire, au-delà des références mythologiques religieuses.
C’est un peu comme Noël chez les chrétiens, sous le prétexte que cette fête est devenue celle des enfants, celle du rassemblement de la famille autour d’un repas, pour dissimuler leur propre bigotisme par le confinement de leur religiosité dans la sphère du privé. Certains, plus malins, ont inventé des mythes modernes pour résister à cette uniformisation de la mythologie religieuse ou alors réactivé des rites païens pour brouiller les repères envahissants de cette religiosité totalitaire.
Quand ceux qui se rabattent sur l’expression saha aïdek, en langue populaire, la derja, pour se distinguer de l’excès de bigotisme chez ceux qui vous l’assènent dans la langue sacrée du coran, Aïdek moubarek, ils prétendent vous convaincre ainsi de leur croyance modérée contre celle de ceux qui voudraient s’imposer par leur puritanisme intolérant.
Un peu comme chez ceux qui vous harcèlent par leur berbérisme ou leur arabisme, si vous ne faites pas partie des uns, vous êtes donc ce que les autres ne sont pas. Il s’agit dans ce cas d’un choix qui vous est imposé, celui de faire partie des uns ou des autres, sans pouvoir échapper à cette double identification antagonique. Vous n’avez donc pas d’autre choix d’identification que dans l’un ou dans l’autre.
Ceux qui sont émancipés de cette double uniformisation, qui leur est imposée, sont aussi considérés comme des égarés, des intrus, voire des impurs qui sont bâtardisés par plusieurs origines ethniques et culturelles. Alors qu’ils n’ont jamais demandé qu’on les assimile à une quelconque uniformité. Ils sont pourtant dans leur droit inaliénable de ne se sentir ni berbères, ni arabes ni musulmans, mais tout simplement libres dans une algérianité en perpétuelle mutation.
Y. B.
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