Saïd Sadi : «En réprimant la perspective démocratique, le pouvoir fait le lit de l’islamisme»
Par Hani Abdi – Le docteur Saïd Sadi, fondateur et ex-président du RCD, pointe du doigt la responsabilité du pouvoir dans la propagation de l’islamisme dans la société algérienne. «Les gens ont basculé dans l’islamisme parce que le régime algérien, sous couvert de socialisme et de tiers-mondisme, a préparé le terrain pour cela, et ce, de manière totalement consciente, jusqu’au moment où il a failli être débordé par le monstre qu’il a fabriqué. Lorsque vous casser de manière systématique, méthodique et permanente toute voix dissonante envers de la démocratie, elle va là où elle peut s’exprimer, dans les mosquées», affirme M. Sadi, qui a animé une conférence-débat à Paris autour de son livre sur Chérif Kheddam.
«Vous ne pouvez pas mettre en cage la parole libre, car elle peut s’exprimer doucement, difficilement, clandestinement, mais elle s’exprimera. C’est comme l’eau, vous pouvez fermer le robinet, mais l’eau finira par trouver une issue pour pouvoir s’évacuer», soutient M. Sadi, qui considère que «le pouvoir algérien, en réprimant la perspective démocratique, a objectivement créé le lit d’expression islamiste de manière violente, précipitée, archaïque et primitive».
L’ex-président du RCD évoque également le poids de l’école, abandonnée aux courants idéologiques les plus rétrogrades. «A chaque fois qu’il se sentait en difficulté, le pouvoir cherchait à s’octroyer un semblant de légitimité, non pas en se tournant vers l’urne ou le citoyen, mais plutôt en allant sur le terrain de la concurrence religieuse, en enlevant le monopole du culte aux islamistes», poursuit le docteur Sadi, pour lequel rien d’autre ne peut justifier la construction d’une mosquée à Alger à 5 milliards de dollars.
Saïd Sadi relève dans ce sillage la faillite des intellectuels rationalistes. «Les intellectuels rationalistes, c’est-à-dire ceux qui ont les instruments pour construire une idée critique de la situation, étaient formés en français. Or, ces gens-là, dès le départ, on les a mis dans des situations de reliquat du colonialisme. Ils sont indexés comme un élément extérieur», ajoute le conférencier, qui est longuement revenu sur l’émigration algérienne, notamment en France.
«Il est aujourd’hui important de remonter cette histoire, car, de par sa nature et sa destinée, l’émigration est en tous points entrée dans une nouvelle configuration. Envisagée comme instrument d’analyse critique, la vie de Chérif Kheddam est d’une remarquable pertinence opérationnelle», relève M. Sadi, qui estime que «nous ne sommes plus dans des mouvements migratoires temporaires qui drainaient une main-d’œuvre sans qualification destinée à rejoindre le pays après quelques années passées à accumuler de quoi compenser un mode de production traditionnel disqualifié par une colonisation de peuplement qui a bouleversé de fond en comble l’ensemble des références algériennes».
Pour Saïd Sadi, «aujourd’hui, ce sont les jeunes instruits qui partent et, souvent, pour ne plus revenir. Il ne s’agit ni de juger ni de cultiver une quelconque nostalgie sur cette situation. Nous avons à appréhender lucidement un fait qui s’impose à nous». Il considère que le plus important est de savoir si l’émigration algérienne, évoluant dans une économie mondialisée, peut garder une mémoire positive de son pays d’origine et, éventuellement, de chercher à inventer des solutions pour que cette migration définitive ne soit pas une rupture.
Saïd Sadi distingue dans la jeune émigration d’aujourd’hui deux trajectoires qui se croisent. «La recherche de la réussite individuelle ou le repli sur une nostalgie qui isole du milieu d’accueil sans pour autant garder un écho positif du pays d’origine. Sur ce double handicap se greffe une autre impatience, plus politique, qui aspire à offrir une perspective historique clé en main à l’impasse algérienne en proposant de l’extérieur des issues radicales», assure-t-il.
Il estime que c’est en identifiant les problématiques nouvelles et complexes que nous avancerons. «En Algérie, l’Histoire s’accélère. Les schémas institutionnels et politiques qui ont été imposés au pays se voilent et se dissolvent dans les dures réalités d’un monde auquel des dirigeants sans éthique ni envergure ont opposé démagogie et irresponsabilité. L’argent, carburant exclusif du système, fait défaut», souligne Saïd Sadi, qui appelle à la sérénité dans le débat pour ne pas prendre de fausses pistes.
H. A.
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