La France cherche-t-elle à imposer Haftar à la tête de la Libye ?
Par Sadek Sahraoui – Le commandant de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL), le maréchal Khalifa Haftar, a rencontré jeudi à Paris le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Le site Afrique Intelligence qui rapporte l’information, indique que l’homme fort de l’Est libyen s’est déplacé dans la capitale française pour un «débriefing». Cette séquence tend à accréditer l’idée que la France a fait de Khalifa Haftar sa carte maîtresse en Libye et qu’elle usera de son influence pour l’imposer à la tête du pays. Pour cela, la France compte certainement sur l’aide de l’Egypte.
Il faut rappeler, à ce propos, que les autorités françaises aident beaucoup l’ANL sur le terrain. Cette aide lui a déjà permis de renverser le rapport de force en sa faveur. L’ANL contrôle maintenant un important territoire. Les ambitions françaises en Libye n’étonnent pas puisque Khalifa Haftar est une ancienne relation de confiance des services spéciaux français. Ce sont, d’ailleurs, eux qui, avec l’aide de la CIA, l’ont retourné durant la fin des années 80 et persuadé de monter une force composée de 2 000 hommes et basée au Tchad, pour renverser Mouammar Kadhafi. Khalifa Haftar était alors chef de corps du corps expéditionnaire libyen au Tchad. Il avait notamment pour mission de maintenir la présence illégale de la Libye sur la bande d’Aouzou.
Afin d’être aux premières loges dans le façonnage de la nouvelle Libye, Paris avait organisé, en juillet, une rencontre entre le chef du GNA, Fayez Al-Sarraj, et le maréchal Haftar. La rencontre était, d’ailleurs, mal vue par la communauté internationale qui a décodé l’événement comme une «ingérence». En multipliant les déplacements à l’étranger, le maréchal Haftar cherche de son côté à renforcer auprès des Occidentaux son statut d’interlocuteur indispensable pour résoudre la crise libyenne. Et – hasard de calendrier ? – sa visite à Paris intervient au moment où le médiateur de l’ONU, le Libanais Ghassan Salamé, a lancé à Tunis une session de pourparlers visant à mettre en œuvre la première étape de son plan d’action pour la Libye. Sa feuille de route consiste globalement à rassembler les parties rivales autour d’un cadre institutionnel pour aboutir à des élections générales l’été prochain.
Le Quai d’Orsay a anticipé sur les éventuelles critiques en soutenant que la visite à Paris de Khalifa Haftar «n’est en aucun cas une initiative dissonante dans la médiation que mène l’ONU». Pour Paris, «il n’est pas inutile» que les différents pays engagés dans le dossier fassent pression sur les parties libyennes. «On ne va rien proposer de nouveau à Haftar, on veut lui faire passer le message qu’il doit respecter ses engagements et la médiation de l’ONU», a soutenu le Quai d’Orsay. Mais personne n’est dupe. Dans le cas de la crise libyenne, la France, tout autant que l’Italie et le Qatar, veut imposer sa partition.
A signaler justement qu’avant de se rendre à Paris, Khalifa Haftar était à Rome. Selon le gouvernement italien, il s’agissait d’une simple visite «technique». Arrivé lundi 25 septembre dans l’après-midi dans un avion militaire italien, le commandant de l’ANL a regagné la Libye mercredi matin. Selon un communiqué du ministère de la Défense italien, publié mardi en fin de journée, Khalifa Haftar s’est entretenu avec la ministre italienne de la Défense, Roberta Pinotti. Il a été, dit-on, question de la «stabilisation de la Libye», de la «lutte contre le terrorisme international» et du «contrôle des flux migratoires», tandis qu’était réaffirmé le soutien de Rome aux initiatives de réconciliation nationale menées par les Nations unies et l’injonction à ce que le règlement du conflit opposant le chef militaire au gouvernement de Tripoli, soutenu par la communauté internationale, se fasse hors de tout recours à une «solution militaire». Selon des sources diplomatiques, la protection des sites du groupe énergétique ENI, très implanté dans la région, a également été évoquée.
S. S.
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