La Banque mondiale dit ses quatre vérités sur l’économie marocaine
Le modèle de croissance économique du Maroc «donne des signes d’essoufflement» et ne parvient pas à gagner en efficience, a indiqué la Banque mondiale (BM), en affirmant que la marche de ce pays vers l’émergence est «lente» et «incertaine». «Le modèle de croissance du Maroc donne des signes d’essoufflement et de croissance modérée. Le pays risque d’être rapidement confronté aux limites d’une croissance basée sur l’accumulation de capital fixe», souligne la BM dans son mémorandum économique pays (MEP) consacré au Maroc.
«Ce scénario d’essoufflement de la croissance et de convergence lente vers l’émergence n’aurait rien de surprenant au regard de l’expérience internationale», précise la BM dans ce rapport volumineux de 405 pages intitulé «Le Maroc à l’horizon 2040 : investir dans le capital immatériel pour accélérer l’émergence économique». Et d’ajouter que «l’histoire économique révèle, en effet, que de nombreux pays réussissent à accélérer fortement leur croissance économique pendant plusieurs années, comme ce fut le cas au Maroc au cours des années 2000, mais que, dans la majorité des cas, faute de réformes structurelles majeures, ces accélérations ne sont pas durables».
«Le ralentissement économique observé ces dernières années et les estimations de croissance pour 2016 de l’ordre de 1% laissent penser que le Maroc s’oriente vers la réalisation de ce scénario», prévoit l’institution de Bretton Woods. Au Maroc, l’effort d’investissement ne s’est pas traduit par des gains de productivité significatifs. Les créations d’emploi se sont concentrées dans les secteurs à faibles gains de productivité, explique la BM. Ainsi, entre 2000 et 2014, l’économie marocaine a généré environ 1,1 million d’emplois en dehors du secteur de l’agriculture, dont plus de la moitié (570 000) ont été créés dans deux secteurs seulement : la construction et l’hôtellerie-restauration, constate le rapport.
«Sans accélération des gains de productivité, la croissance ne peut que décélérer. La dynamique atone des années récentes peut s’interpréter comme une préfiguration de ce scénario de lente convergence», précise-t-elle dans ce rapport de prospective qui documente la situation économique et sociale du Maroc. «Face aux ambitions économiques du Maroc, l’expérience internationale indique que rares sont les pays qui ont réussi à franchir le cap de revenu intermédiaire pour se hisser parmi les pays à haut revenu et que ceux qui ont réussi l’ont souvent fait au prix d’énormes efforts et sacrifices.» Seulement, treize économies dans le monde ont été capables d’atteindre et de maintenir une croissance supérieure à 7% pendant plus de 25 ans depuis 1950, selon la Banque mondiale.
Après une phase généralement encourageante de développement rapide et de modernisation des infrastructures de base, de nombreux pays en développement se retrouvent confrontés à un plafond de verre dans leur expansion, c’est-à-dire à des limites du développement largement invisibles, selon les précisions de cette institution financière internationale.
Une économie très endettée
A ce titre, la BM soutient que d’un point de vue historique, il est intéressant de noter que les pays qui ont réussi leur envol économique étaient très peu endettés lorsqu’ils avaient le niveau de développement du Maroc actuel. Or, la position extérieure globale nette du Maroc s’est détériorée au cours de la dernière décennie, passant de 38% du PIB en 2002 à 61% en 2015. «Dans de nombreux pays, l’explosion du crédit a conduit à une forme d’instabilité financière, à des crises bancaires ou à des situations de rationnement brutal du crédit», met en garde le rapport.
S’y ajoute un secteur de l’industrie qui n’est pas suffisamment rentable, poursuit la BM. Même dans les filières les plus dynamiques, telles que l’automobile et l’aéronautique, la présence du capital local reste limitée et l’essentiel de la croissance est porté par des acteurs étrangers. Par exemple, autour de l’usine Renault à Tanger, moins de 10% seulement des fournisseurs de premier rang livrant quotidiennement l’usine sont à capital majoritairement marocain. Les entreprises marocaines, «peu structurées, de taille modeste et faiblement internationalisées, s’avèrent également peu dynamiques et innovantes», constate le rapport.
«Pourquoi le nombre d’entreprises marocaines exportatrices s’élève-t-il à seulement 5 300 et stagne-t-il depuis le début des années 2000 ? A titre de comparaison, la Turquie compte aujourd’hui 58 000 entreprises exportatrices», s’est interrogé la BM, qui explique que «les politiques publiques au Maroc peinent à créer les conditions suffisantes d’un rattrapage économique».
Un demi-siècle d’écart économique entre le Maroc et l’Europe du Sud
Au total, alors que 15 kilomètres à peine séparent les royaumes du Maroc et d’Espagne, le pouvoir d’achat d’un Marocain en 2015 n’atteignait que 22,5% de celui de son voisin européen immédiat. La Grèce, dont l’économie traverse une crise profonde, dispose d’un revenu par habitant trois fois supérieur à celui du Maroc, note ce mémorandum. Pour apprécier les limites de la dynamique de convergence du Maroc, il convient de garder à l’esprit que les pays ayant réussi leur envol économique ont tous été capables de maintenir un taux de croissance du PIB par habitant supérieur à 4% pendant plusieurs décennies.
«L’écart économique actuel entre le Maroc et l’Europe correspond à environ un demi-siècle. Sur un plan historique, le niveau de vie actuel des Marocains correspond à celui atteint par les Français en 1950, par les Italiens en 1955, par les Espagnols en 1960 et par les Portugais en 1965», relève encore la BM.
Par ailleurs, «les résultats en termes de développement social et humain et de cohésion sociale restent en deçà des attentes de la population et celle-ci a bien conscience de l’existence d’un développement du Maroc à plusieurs vitesses», met-elle en exergue. Près d’un quart des ménages ruraux n’ont pas directement accès à une route et vivent à au moins 10 km des services de santé de base, alors que les taux de raccordement en milieu rural n’atteignent pas 40% pour l’eau potable et 3% pour l’assainissement. «Dans ces conditions, le capital humain du Maroc peine à se développer», indique la BM, en rappelant que le Maroc se situe au 126e rang mondial (sur 187 pays) en termes d’indice de développement humain.
Seulement 15% des ménages marocains feraient partie de la classe moyenne ou aisée, soit environ 5 millions d’habitants, pour une population totale d’environ 34 millions. Au Maroc, où environ un jeune sur deux âgés de 25 à 35 ans dispose d’un emploi, souvent informel et précaire, «l’emploi des jeunes constitue à brève échéance un défi majeur pour l’avenir de la société», note cette institution financière internationale. «Incertaine quant à son avenir, une partie de la jeunesse est traversée par un malaise qui s’exprime notamment par la volonté de nombreux jeunes de tenter leur chance outre-mer», souligne le rapport.
R. I.
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