Pour une école libérée des archaïsmes
Par Mesloub Khider – «Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? » (Voltaire, Dictionnaire philosophique)
«Nous voulons une école solidement ancrée dans l’islam, l’arabité et l’amazighité et résolument tournée vers la modernité et la qualité», avait déclaré je ne sais quel ministre. Il faut être vraiment ministre algérien pour proférer une telle allégation schizophrénique. Déconnecté totalement de la réalité, il ne mesure pas l’incompatibilité radicale entre les deux parties de la phrase. En effet, la première partie de sa déclaration («une école solidement ancrée dans l’islam, l’arabité») est en contradiction avec le second segment de la phrase («tournée vers la modernité et la qualité»).
En vérité, une éducation fondée sur la religion et sur la langue arabe, élevée au rang de langue sacrée imprégnée de religiosité, de par sa conception conservatrice et passéiste du contenu pédagogique, ne peut être résolument tournée vers la modernité. Effectivement, la religion et la modernité sont des concepts antinomiques. On ne peut construire l’école en même temps sur la foi et sur la raison. Avec de tels fondements antithétiques, on produit des êtres bipolaires. Des hommes pathologiquement déchirés, des personnalités clivées, des écorchés vifs.
De surcroît, quand le pouvoir érige la religion comme un des fondements de d’Etat, qu’il ne s’étonne pas qu’elle fasse l’objet de débats publics véhéments, de virulentes controverses sur la place publique, et surtout qu’une frange importante de la population, en l’espèce les islamistes, veuille s’octroyer la gestion de ces affaires religieuses, qu’ils n’ont par ailleurs pas tardé à transformer en religieuses affaires, pour le grand profit des deux pouvoirs officiel et officieux, répressif étatique et oppressif religieux.
De fait, une sorte de partage des tâches s’est opérée entre ces deux entités artificiellement opposées. Le premier gère l’Etat au nom du prétendu intérêt national pour bien enrichir les membres de la classe dirigeante, le second clan islamiste, lui, assure la soumission des Algériens par l’endoctrinement et l’asservissement religieux, en contrepartie des miettes financières que lui octroie l’Etat rentier.
En vérité, l’Algérie est gouvernée par une hydre à deux têtes, aux pouvoirs tentaculaires politiques et religieux écrasants, accablants, oppressants. Cette monstrueuse hydre détient les véritables rênes de l’Etat et de la société.
Ce Méphistophélès du pouvoir suranné règne sur les Algériens.
En réalité, au plan de l’éducation nationale, pour éviter les récurrentes stériles polémiques sur les questions éducatives initiées souvent par les islamistes réfractaires à toute innovation moderne en matière pédagogique, la société algérienne doit instaurer une école laïque. L’école sera ainsi à l’abri des confrontations religieuses importées des mosquées dans l’enceinte des établissements scolaires. L’éducation nationale et le contenu des programmes scolaires ne doivent faire l’objet d’aucune intrusion religieuse, d’aucune immixtion idéologique. Pour ce faire, en premier lieu, le pouvoir doit abroger de la Constitution l’article érigeant l’islam en religion d’Etat. Effectivement, la religion doit être contenue dans la sphère privée.
Seule la liberté de conscience doit être constitutionnellement garantie.
Chaque Algérien pourra ainsi pratiquer librement sa religion. Et s’il souhaite dispenser à son enfant un enseignement religieux, il pourra l’inscrire dans une école confessionnelle privée.
Par ailleurs, l’école publique algérienne doit s’affranchir de la tutelle religieuse islamiste qui la tient en otage pour la maintenir sous la coupe d’un enseignement archaïque et rétrograde incompatible avec la mission éducative de l’école moderne en vigueur dans tous les autres pays.
C’est ainsi que, pour coloniser habilement le système scolaire, les partisans de l’enseignement religieux ont confectionné cette discipline désignée sous le titre amphigourique et oxymorique de «sciences islamiques».
Encore deux termes radicalement antinomiques. La religion relève de la croyance, de la foi, contrairement à la science qui, elle, ressort de la raison.
Si la religion se fonde sur un corpus considéré comme incréé, immuable, immortel, œuvre de Dieu, d’où le doute est banni, la remise en cause proscrite, la science, basée sur l’observation et l’expérimentation, avec comme principe le doute méthodique, systématique, est, elle, l’œuvre de la seule raison de l’Homme pour laquelle la remise en cause est prescrite.
On ne peut donc associer ces deux champs d’investigation spirituelle et scientifique contradictoires, radicalement opposés.
Toute science serait superflue s’il y avait coïncidence immédiate entre la forme phénoménale et l’essence des choses.
Telle est la conception de la religion en la matière, le postulat sur lequel repose sa doctrine intangible. De son point de vue religieux, nul besoin de procéder à l’étude, à l’observation et à l’expérimentation des phénomènes pour saisir leur essence. Dès lors, à quoi bon s’échiner à instruire l’homme pour lui offrir les outils scientifiques afin de lui permettre de produire sa vie, d’aiguiser sa curiosité, d’aiguillonner ses recherches, de développer son sens critique, d’affermir ses connaissances ?
Conséquence : il ne peut y avoir d’avancée du savoir. La vérité a déjà été énoncée une fois pour toutes. Et l’on ne peut que continuer à énoncer, annoncer son message, mais jamais la dénoncer, ou y renoncer.
De façon définitive, la religion postule, une fois pour toutes et définitivement, que la loi divine l’emporte en toutes circonstances et dans tous les cas de figure, en tous lieux et en tous temps, qui ne souffre aucune exception et aucune transgression, sur ce que les hommes peuvent décider en matière de lois, d’éducation, d’instruction, de morale, de politique, etc.
La religion ne peut accepter la critique. L’esprit critique établit des distinctions, et distinguer est un signe de modernité. Dans la culture moderne, la communauté scientifique entend le désaccord comme un instrument de progrès des connaissances. Pour la religion, le désaccord est trahison.
De toute évidence, la place de la religion est à la mosquée. La place de la science, à l’école.
Les bougies de la religion peuvent réconforter, mais il faut surtout allumer les projecteurs modernes de la connaissance.
«Il est douteux que les hommes, à l’époque où les doctrines religieuses exerçaient une domination sans restriction, aient été dans l’ensemble plus heureux qu’aujourd’hui ; plus moraux, ils ne l’étaient certainement pas.» (Freud, L’avenir d’une illusion)
M. K.
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