La tomate et le caillou
Par Kadour Naïmi – A celles et ceux qui l’ignorent, voici l’histoire qui justifie ce titre. Considérons un coup de poing. S’il s’abat sur une tomate, c’est elle qui est pulvérisée ; si le même coup de poing frappe un caillou, c’est, au contraire, le premier qui se fracasse.
On peut exprimer le même processus de manière philosophique ou scientifique. Dans tout phénomène, naturel ou social, la contradiction interne est principale, tandis que celle externe est secondaire. Exemples dans le domaine social : l’armée coloniale française puis états-unienne agressant le Viet Nam, comme l’armée coloniale française occupant l’Algérie, étaient de bien forts «coups de poing». Elles avaient envahi, vaincu et dominé les peuples vietnamien et algérien, tant que ces derniers s’étaient révélés des «tomates». Mais quand l’humiliation de l’exploitation-domination était devenue trop insupportable, ces peuples ont pris conscience, et celle-ci leur a permis de devenir des «cailloux», contre lesquels les armées impérialistes se sont brisées, permettant aux peuples opprimés de gagner leur indépendance nationale.
Pourquoi toutes ces prémisses ? Pour en venir à un problème qui semble être considéré de manière telle qu’il ignore cette constatation empirique à propos de la force entre l’agressé et l’agresseur. J’ai dit «force» ; à moins d’être ignorant ou naïf, on sait que la force est contraire au droit, quand le droit (légitime) est nié.
Venons-en, alors, au fait. J’ai lu attentivement l’article «Le Mossad : « C’est avec le MAK que nous ferons exploser l’Algérie »». Il me semble appeler de nécessaires éclaircissements.
Suffit-il d’attirer principalement l’attention sur un ennemi (en l’occurrence de l’Algérie) et de combattre son influence manipulatrice sur un mouvement social algérien, pour conjurer le danger qui menace ainsi le pays ?
Ne devrions-nous pas, d’abord, nous poser des questions, telle la suivante : le MAK, quelles sont la ou les causes de sa naissance ?
Raisonnons de manière objective, c’est-à-dire scientifique. Si un microbe apparaît dans un corps, faut-il uniquement pointer l’attention sur le microbe ou, plutôt, clarifier un fait primordial : pourquoi le corps a pu laisser naître ce microbe en son sein ?
Portons le raisonnement sur le plan social. Si les citoyens que le MAK réussit à mobiliser n’avaient pas souffert d’injustices diverses, dont, notamment, leur droit légitime à la reconnaissance de leur langue, de leur histoire et de leur identité, est-ce que MAK aurait eu une influence sur eux ?
Approfondissons. En quoi une composante du peuple algérien, qui revendique ses langue, histoire et identité, serait-elle une menace pour l’unité de l’Algérie ? De par le monde, n’y a-t-il pas tant d’exemples ou un peuple est formé de plusieurs composantes linguistiques et identitaires, sans, pour cela, avoir été divisé ? Alors, pourquoi pas l’Algérie ? A moins que certains (les « islamo-baathistes ») préfèrent dominer linguistiquement et culturellement au détriment des autres (les amazighs). Dans ce cas, ne s’agit-il pas d’une injustice flagrante ?
Elargissons la question. Toutes ces révoltes de jeunes et d’adultes, qui éclatent en Algérie (il en est de même ailleurs), auraient-elles lieu si les manifestants ne trouvaient pas insupportables les injustices qui les accablent ? Que ces personnes soient manipulées par des services secrets étrangers, hostiles à l’Algérie, cela fait partie du «jeu» impérialiste-sioniste. Pourquoi s’en étonner ?
Oui, dénoncer ce fait est nécessaire, encore faut-il fournir des preuves concrètes. Car l’histoire nous enseigne : tout pouvoir dominateur accuse toujours l’étranger de révoltes citoyennes internes. Dans certains cas, il s’agit simplement de détourner l’attention des révoltés sur la responsabilité première de ce pouvoir dominateur. Dans d’autres cas, il est vrai que des «services» étrangers sont en action derrière les révoltes citoyennes.
Mais, dans cette dernière situation, le problème principal n’est-il pas, d’abord, la contradiction interne, existante ente les révoltés et le pouvoir censé les représenter ?
Si l’on déclare, avec justesse, que les révoltes citoyennes amazighes du Rif marocain sont causées par l’oppression d’un Etat oppresseur, pourquoi n’en est-il pas de même s’agissant des révoltes citoyennes dans la partie amazighe de l’Algérie ?
Et si l’on attire l’attention sur le Mossad, derrière le MAK, ne faut-il pas ajouter l’autre danger : les monarchies moyen-orientales, derrière le mouvement algérien «islamiste» ? Autrement, on risque de dresser la partie linguistiquement arabophone de l’Algérie contre celle amazighophone. Dans ce cas, il y a, également, une manipulation visant à la division du pays.
Un antique sage chinois disait, en substance : «Ôtez l’inégalité des richesses, fruit de l’exploitation de l’Homme par son semblable, et il n’y aura plus de vol !». Ne peut-on pas, alors, affirmer : éliminez les injustices dont souffrent les révoltés, quelles que soient leurs caractéristiques et leurs revendications, ainsi vous n’aurez plus de révoltes, et, par conséquent, vous n’aurez plus à craindre les manipulations de «services» étrangers désirant porter atteinte au pays ?
Conclusion. Faut-il s’en prendre d’abord et exclusivement à un élément étranger (Mossad) et à un autre interne (MAK), ou, plutôt, d’abord à nos gouvernants ? La meilleure manière de conjurer les actions du Mossad (comme de tout autre «service» étranger) et les actions de mouvements internes, tel que le MAK, ne revient-il pas, d’abord, à résoudre, par les détenteurs du pouvoir en Algérie, les injustices subies par ces citoyens, au point de se laisser manipuler par d’autres ?
Vous ne voulez pas de troubles sociaux (ni d’intervention étrangère) ? Eliminez les injustices qui les causent. Toute l’histoire humaine enseigne cette évidence. Des considérations qui perdent de vue cette exigence, que sont-elles sinon des bavardages inutiles ou manipulateurs ?
K. N.
Ndlr : Algeriepatriotique n’a pas inventé une «histoire» de collusion entre le MAK et le Mossad, mais a repris fidèlement les propos d’un responsable des services secrets israéliens.
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