Le dernier vol de l’ami Roger
Par Al-Hanif – Le 11 février 2015, le vol AH 1009 de la compagnie Air Algérie en provenance de Paris ramenait la dépouille du commissaire Navarro également parrain et retraité de cinéma.
Si l’on était appelé à trancher «entre la justice et ma mère, je choisis ma mère», formule incendiaire d’Albert Camus pour se défausser et trahir non seulement son œuvre mais le cours de l’histoire, et le désir de Roger Hanin d’être enterré en terre natale, nous retiendrons que l’ami Roger a su préserver fidélité à un groupe, à son père et à son pays.
Celui qui a exprimé le désir de reposer pour l’éternité aux côtés de son père dans ce cimetière juif d’Alger a toujours accepté le verdict de l’Histoire qu’il n’a jamais confondu avec le script des indépendances africaines qui faisait semblant de décoloniser, de partir pour mieux rester. De Sétif en 1945 à Bandung en 1955, la voix de l’Algérie a été un cri strident pour démentir le mythe d’une Algérie française. Le combat libérateur qui s’est poursuivi jusqu’en juillet 1962 a fait capoter le plan de De Gaulle, commis voyageur galonné d’une camelote nommée «la paix des braves» qui confondait tournées des popotes et tournées des colonies à inscrire dans le giron français.
Le «non» de Sékou Touré en Guinée avait également rejeté le référendum qui organisait les modalités du néocolonialisme et d’une souveraineté réduite aux acquêts. Avec les Vietnamiens et les Algériens, c’était une voix forte du continent qui s’élevait pour appeler à «se redresser de toute sa hauteur, de se laver d’une souillure (….) pour chaque Africain, chaque colonisé».
De par son histoire personnelle, Roger Hanin s’est retrouvé gendre d’un ex-président français qui s’était illustré comme bourreau et tortionnaire des militants algériens, et il a dû jouer les funambules pour garder intact cet amour de l’Algérie et celui des Algériens, sans toutefois s’aliéner totalement sa tribu originelle.
Dans la patrie autoproclamée des droits de l’Homme et volontiers donneuse de leçons, la vie et les actes de Roger Hanin ont toujours parlé pour lui. Sans dissonance notable ! Saumon mémoriel, il a éprouvé le besoin atavique de faire corps de cette terre d’Algérie et de sa dépouille cette passerelle qu’emprunteront les femmes et les hommes de bonne volonté, ceux qui ont l’intelligence de ne jamais contrarier, ni d’insulter l’histoire.
Quand un général tortionnaire passait au journal télévisé pour revendiquer en toute impunité l’exécution de vingt-quatre personnes, et que la France revancharde parlait de bienfaits de la colonisation, de routes et d’hôpitaux construits, l’ami Roger faisait de fréquentes incursions au «Tantonville» pour y retrouver lumière, embruns, amis et souvenirs enfouis.
Trois ans avant son décès, il avait débarqué à Marengo, l’ancien nom de sa ville natale, pour revisiter son enfance et partager les repas avec ses amis de toujours. A l’annonce de sa dernière volonté, celle de reposer en terre algérienne, les rubriques nécrologiques dithyrambiques et la sarabande des images se sont taries, comme saisies de sidération et le peuple pied-noir lui a tourné le dos. Pour celui qui s’écarte de la tribu, pas de Yom Kippour, pas de Grand Pardon.
Un président algérien accueillera «ce symbole de l’amitié entre les peuples algérien et français» et s’honorera de le recevoir sur sa terre. Les lamentations furent nombreuses de ce côté-ci de la Méditerranée – comme à l’accoutumée –, confondant Roger et Gaston !
L’ami Roger, post mortem, rappelait qu’il n’était pas rapatrié, assigné à réflexe moutonnier mais exilé involontaire qui rentrait pour de bon à St-Eugène-Bologhine.
L’Algérie qui, contrairement à d’autres, ne pratique aucune épuration ethnique, honorait par la même occasion – et de manière oblique – nos frères moudjahidine juifs : Henri Alleg, Daniel Timsit, Jacqueline Guermondy, Maurice Audin, Henri Curiel et le moudjahid Me Verges pour ne citer que quelques-uns. Depardieu pourra aller se recueillir sur la tombe de l’ami Roger et déposer quelques fleurs.
Ceux dont la structure pathologique ne peut enclencher que des réflexes de haine continueront de suivre leur logique masochiste et à vouloir s’infliger et infliger des souffrances inutiles.
George Orwell, revenu des utopies, déclarera comme fasciste toute personne qui criera «Viva la muerte» car nulle beauté ne peut passer les portes de la haine et de la mort.
A.-H.
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