Pourquoi la France est en train de perdre le soutien de l’Algérie au Sahel
Par R. Mahmoudi – Dans une tribune parue dans le quotient français Le Monde, un collectif d’éminents chercheurs et universitaires attirent l’attention sur les dérives stratégiques de la France dans la région du Sahel, en considérant que «l’outil militaire français doit être subordonné à un projet politique réaliste défini par les sociétés sahéliennes».
Faisant le bilan de cinq ans de présence militaire française au Mali, ce collectif arrive à un constat alarmant, à savoir que le Mali a, depuis cette date, «sombré dans un état de délitement inquiétant». Les groupes politico-militaires se disputent toujours, dans le nord du pays, le contrôle des territoires et des trafics, et l’Etat a reculé dans les zones rurales «où prospèrent milices communautaires, bandes criminelles et insurgés se revendiquant du djihad». Il y a encore pire : la violence terroriste s’est étendue depuis l’avènement des troupes françaises à d’autres pays voisins, comme le Burkina Faso et le Niger.
Les auteurs de la contribution reprochent aux promoteurs de cette stratégie de donner le primat à la lutte antiterroriste, en ignorant complètement l’aspect politique et la capacité des Etats à relever le défi de la gouvernance et du développement. «Face aux impasses du processus politique et aux lenteurs des coûteux programmes de développement, écrivent-ils, ce sont les options militaires qui prévalent de facto aujourd’hui. Le Mali et ses voisins sont aujourd’hui le théâtre de multiples interventions sécuritaires qui se superposent : opération française Barkhane et G5 Sahel, mais aussi force de stabilisation de la Minusma, etc.»
Les auteurs estiment que «non seulement cet empilement n’a pas amélioré la situation sur le terrain mais suscite le malaise des opinions publiques malienne et nigérienne de plus en plus rétives à ces présences militaires étrangères». Et d’enchaîner : «Celles-ci ont échoué jusqu’ici à contenir les groupes qui se revendiquent du djihad. Ces derniers se sont adaptés aux interventions internationales : chassés des villes, ils ont appris à se recomposer dans les zones rurales. Ils cherchent à s’y enraciner en y assurant un certain ordre à la place d’un Etat absent et souvent perçu comme illégitime».
Dans son analyse, ce collectif de chercheurs attire aussi l’attention sur les risques d’une plus grande radicalisation des groupes djihadistes en cas d’élimination de leurs leaders. Evoquant l’attaque menée récemment contre l’organisation dirigée par Iyad Ag Ghali près des frontières avec l’Algérie, les signataires de la contribution mettent en exergue une forme d’imprévoyance chez les Français, dans le sens où la mort d’Iyad Ag Ghali «peut susciter la réprobation locale et perturber les tentatives de dialogue politique».
Autre observation de taille : le collectif estime qu’en menant des opérations aux abords de la frontière algérienne, «la France prend également le risque de s’éloigner encore davantage d’une Algérie déjà échaudée par la présence militaire française à Tessalit et par la création du G5 Sahel auquel elle n’appartient pas».
R. M.
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