Dossier – Comment le Maroc détourne les ressources du Sahara Occidental (III)
Par Houria Aït-Kaci – Sur le plan judiciaire, la lutte menée par le Front Polisario et les ONG contre les acteurs du commerce illégal du phosphate du Sahara Occidental a connu au cours de l’année écoulée plusieurs succès, comme le cas du navire NM Cherry Blossom qui transportait 55 000 tonnes, en route pour la Nouvelle-Zélande et qui a été arraisonné à Port-Elizabeth, en Afrique du Sud. Trois semaines après, en mai 2017, un second bateau, le danois Ultra Innovation, faisant route vers le Canada, a été stoppé au moment où il traversait le canal de Panama.
Outre les riches gisements de phosphates découverts par l’Espagne en 1947, le sous- sol sahraoui contient d’autres minerais et matières premières qui suscitent bien des convoitises des multinationales, tels que le fer, le titane, le manganèse, l’uranium, le titanium et le vanadium, et probablement, l’antimoine et le cuivre, selon le site de ressources documentaires Irénées. Il faut ajouter le sel et le sable illégalement exportés vers la France et les Iles Canaries.
Afin de contrer la politique coloniale de spoliation et de pillage, les militants sahraouis, aidés par des ONG européennes solidaires, mènent un combat de longue date. Mais cette résistance va connaître un essor à partir de 2010, avec les nouvelles générations de Sahraouis vivant sous l’occupation, à travers notamment la naissance du mouvement de masse Gdeim Izik de Laâyoune. Celui-ci a mis au centre de ses revendications «la souveraineté sur les ressources naturelles».
Ce mouvement fut du reste violemment réprimé par les forces d’occupation marocaines et ses animateurs arrêtés, dont le président du Comité sahraoui pour la protection des ressources naturelles au Sahara Occidental, S. Lemjiyed, condamné à la prison à vie. Une campagne internationale de dénonciation est toujours en cours pour exiger sa libération et celle de ses camarades.
Le Maroc, qui a interdit l’entrée dernièrement à deux avocates françaises venues rendre visite à des détenus politiques, vient d’être interpellé pour manque de respect des droits des 23 prisonniers politiques de Gdeim Izik, dont «le choix des avocats». Des ONG ont rappelé que la condamnation en juillet 2017 de ces prisonniers à de lourdes peines, dont certaines à la réclusion à perpétuité, s’est faite suite à un «procès manifestement inéquitable».
La résistance sahraouie face à l’occupation ne date pas d’aujourd’hui, elle plonge ses racines dans le combat mené par les tribus berbéro-arabes dès les premières incursions coloniales, notamment françaises et espagnoles, qui dominaient le Sahara et la région de l’Afrique de l’Ouest au XIXe siècle. Le plan de partage établi à la Conférence de Berlin de 1885, qui dessina les nouvelles frontières en fonction des intérêts des empires coloniaux de l’époque, a attribué à l’Espagne le Rio de Oro, qu’elle occupera réellement qu’après 1934, suite à la découverte de la mine de phosphate de Boucraâ.
Cette résistance, qui s’est radicalisée avec la naissance du mouvement de libération national sahraoui représenté par le Front Polisario, qui a déclenché le 20 mai 1973 la guerre à l’Espagne, puis contre le nouvel occupant marocain, se poursuit aujourd’hui sur le plan politique et diplomatique, avec comme principal enjeu économique, le contrôle des matières premières et des richesses halieutiques.
Le Maroc, en rejetant le référendum et les négociations directes avec le Polisario, a mis au point mort le plan de paix onusien, avec le risque d’un possible retour aux armes, car le Front Polisario ne peut laisser durer éternellement ce statu quo en sa défaveur. Il menace régulièrement de reprendre la lutte armée, surtout que les nouvelles générations de Sahraouis sont moins patientes et veulent en découdre avec l’occupation et l’oppression.
Mais une nouvelle guerre est-elle dans l’intérêt des peuples de la région, qui souffrent de la crise économique et sociale, avec ses conséquences sur la jeunesse, comme le chômage et l’émigration clandestine ? La communauté internationale peut peser de tout son poids pour amener les deux parties à reprendre les négociations directes et «sans conditions préalables» afin de trouver une solution à ce conflit, comme l’a recommandé le dernier sommet de l’Union africaine (UA).
Les efforts du nouvel Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU au Sahara Occidental, Horst Köhler, l’ancien président allemand, pour relancer le processus de paix seront-ils soutenus par la communauté internationale ? Pour l’instant, il vient de recevoir l’appui du Royaume-Uni, dont le ministre d’Etat chargé des affaires du Commonwealth, Alistair Burt, a indiqué, après un «échange de vues très utile» avec Horst Köhler (en marge de la conférence de Munich sur la sécurité), que «le Royaume-Uni soutient pleinement le processus mené par l’ONU pour parvenir à une solution politique durable et mutuellement acceptable» dans le conflit du Sahara Occidental.
Un autre pays membre permanent du Conseil de sécurité, et non des moindres ; la Russie, vient également d’annoncer son soutien au processus de paix onusien, par la voix de son chef de la diplomatie. «La Russie soutient la tenue de négociations directes entre les deux parties en conflit du Sahara Occidental, à savoir le royaume du Maroc et le Front Polisario», a indiqué Sergueï Lavrov lors d’une conférence de presse conjointe avec le ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, en visite de travail à Moscou.
Avec de tels soutiens affichés, Horst Köhler pourra-t-il convaincre le Maroc de s’assoir à la table des discussions avec le Polisario ? Si la Chine et les Etats Unis, membres permanents du Conseil de sécurité, décident d’en faire autant, la France ne sera-t-elle pas amenée à revoir sa copié ? La communauté internationale saura-t-elle prendre les mesures qui s’imposent pour contraindre les entreprises qui font du commerce illégal au Sahara Occidental et à contraindre le Maroc à appliquer le droit international ? Il faut l’espérer, car la zone de l’Afrique du Nord Moyen-Orient n’a pas besoin d’une nouvelle guerre, alors que de nombreux foyers sont encore allumés.
H. A.-K.
(Suite et fin)
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