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Interview – Le penseur franco-marocain Jacob Cohen : «Il était temps que les Marocains se révoltent»

Algeriepatriotique : La rue marocaine bouillonne depuis quelques jours. Les Marocains, épuisés par tant d’années de précarité, réclament leurs droits et dénoncent la corruption. Quelle lecture en faites-vous ?

Jacob Cohen : Je dirais d’abord qu’il était temps. La marmite bouillonnait mais n’explosait pas. Les conditions d’une révolte existent depuis longtemps, mais on ne sait jamais pourquoi ça ne prend pas, et on ne peut pas non plus expliquer pourquoi ça a pris. Les phénomènes sociaux sont imprévisibles dans leur soudaineté et leur ampleur. 

Le Makhzen a déployé l’armée dans les grandes villes marocaines pour contenir une population asphyxiée qui demande des comptes. Est-ce un signe que le royaume panique ?

Je pense que c’est d’abord une mesure de précaution. Et un signal envoyé aux contestataires. J’ai eu la «chance» d’avoir vécu deux soulèvements importants, en 1965 et en 1984. Ils ont été matés avec une violence inouïe, surtout le premier où l’armée mitraillait les émeutiers depuis les hélicoptères. Le second fut moins violent mais avait frappé suffisamment les esprits pour faire passer l’envie de recommencer. Il faut dire que Hassan II n’y allait pas avec le dos de la cuiller. Et je ne crois pas me tromper en disant que le Maroc de Mohammed VI n’a plus connu de tels soulèvements. Mais le régime ne les a pas oubliés. Le déploiement militaire est aussi un avertissement qu’il ira aussi loin qu’il le faudra pour maintenir l’ordre.

Le financement de l’organisation de la CAN 2025 et la Coupe du monde 2030 a fini par provoquer un peuple qui agonise, estiment des analystes…

Ces dépenses de prestige, de plusieurs milliards de dollars, peuvent paraître aux millions de citoyens qui n’auront que la télévision pour en profiter, inutiles, non prioritaires et, surtout, se font au détriment de leurs intérêts fondamentaux, notamment en matière de santé, de l’éducation, de l’emploi, et des équipements essentiels comme l’eau potable et l’électricité. On oublie souvent que la majorité de la population vit en dehors des circuits touristiques et modernistes, et on a l’impression que leur situation n’a pas bougé d’un iota depuis des décennies.

Les manifestations pacifiques se sont transformées en une révolte inattendue et la protestation concentrée dans quelques villes s’est étendue à tout le royaume. Face à la pression de la rue, croyez-vous qu’il y aura des tentatives d’apaisement ?

Certainement. C’est dire si le malaise est profond et touche toute la jeunesse ou presque. Le régime fera probablement des annonces. Il aura surtout à cœur de casser la dynamique contestataire et son ampleur. Comme on a dit, il y a cet impondérable qui les a réunis au même moment et qu’il s’agit d’inverser. Est-ce que ça prendra ? Difficile à dire. Le régime peut aussi engager les influenceurs à calmer les esprits. Les réseaux sociaux y sont certainement pour quelque chose et ont servi de détonateurs. Ces influenceurs n’auront pas intérêt à refuser, car les représailles peuvent être sévères. Ils sont conscients de leur importance mais aussi du rapport de force. Je suppose qu’il doit y avoir pas mal de tractations en ce moment pour pousser à la dislocation du mouvement de manière non violente.

Comment expliquez-vous le blackout presque total fait sur les événements graves qui secouent le Maroc par les médias français ?

Le régime chérifien s’est ancré durablement et profondément dans l’alliance occidentalo-sioniste, et doit probablement aussi lui rendre des services sur le continent africain. Il faut donc absolument le ménager. Or, les médias occidentaux ont montré depuis la crise du Covid et le conflit en Ukraine leur soumission quasi totale à la doxa officielle. Les médias français n’ont même pas besoin de cette donnée. Ils ont toujours montré une grande complaisance pour le Maroc. Voir le livre de Gilles Perrault Notre ami le roi. 

Devant cet embrassement des villes marocaines, beaucoup pensent que ce n’est pas juste des manifestations sociales mais plutôt une révolution qui couve comme celle de 1953. Qu’en pensez-vous ? Est-ce la fin de la monarchie alaouite ?

Il me semble, à première vue, que l’embrasement actuel a peu à voir avec les événements antérieurs, qui avaient un caractère politique marqué. Les revendications ont un caractère social et professionnel. Les jeunes voudraient goûter un peu plus aux fruits de la modernité. Je ne crois pas avoir lu ou entendu des slogans contre le pouvoir ou la monarchie. Cette jeunesse ressemble beaucoup à ces jeunesses influencées par les réseaux sociaux et peu politisées ou sans un bagage politique solide et cohérent.

Entretien réalisé par Kahina Bencheikh El-Hocine

4 Commentaires

  1. Une seul Solution Un Regime Démocratique…Car sinon le PEUPLE N’OBTIENDRA RIEN. ET TOUT SERAS TOUJOURS SOUSLA TUTELLES DE LA FRANCE ET SURTOUT DU SIONISMES ET DES SUPREMACISTES DES ETATS UNIS….RIEN NE CHANGERAS SANS UN DEGAGISMES JUSQU’À LA RACINE DU MAL…..

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  2. iil n est pas temps ,,, ils on siècle de retard ,,,,rien qu’un siècledans tout les domaines ,,,,,,,j espère qu’ils on tirer ne leçon des évènements chez les voisins

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  3. Excellent entretien.
    Avoir le point de vue de Jacob Cohen est toujours intéressant car il connait très bien la réalité de la société marocaine.
    Le makhzen mate avec une violence inouïe ceux qui manifestent pacifiquement car c’est dans sa nature. Le makhzen est une machine de répression. Un système inique. La violence du régime marocain n’est pas une exception mais une règle appliquée avec brutalité contre quiconque oserait revendiquer plus de justice sociale.

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