Saïd Sadi : «Ce que Bouteflika m’a révélé sur Mouloud Mammeri»
Par Hani Abdi – L’ex-président et fondateur du RCD, Saïd Sadi, commente les propos du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, relatifs à la position du président Bouteflika sur les événements d’avril 1980, le Printemps berbère. Dans une tribune publiée aujourd’hui sur sa page Facebook sous le titre fort évocateur «L’Histoire et les courtisans», Sadi répond clairement à Ouyahia qui avait affirmé, le 18 janvier 2018, devant les membres du conseil national du RND, que «pour l’histoire, des responsables de l’Etat ont entendu du moudjahid Abdelaziz Bouteflika qu’il n’était pas d’accord avec la décision d’interdire la conférence (de Mouloud Mammeri) et la décision de réprimer les manifestants».
Pour Sadi, le propos d’Ouyahia «ne saurait être assimilé à l’incompréhension d’une information mal transmise». «Je viens de vérifier qu’en 2009, le personnage avait osé la même allégation. Il s’agit donc bien d’une stratégie de désinformation puisqu’à l’époque déjà, il était affirmé qu’en plus de son désaccord avec l’interdiction de la conférence et le recours à la répression, Bouteflika ‘avait demandé à ce que ses livres soient mis à la disposition du public’ !»
Sa réaction tardive au propos d’Ouyahia, Sadi l’explique par sa volonté d’éviter d’alimenter «une guerre de clans où l’obséquiosité n’est pas la moindre des tentations». Il a affirmé que Bouteflika n’était ni favorable à la conférence de Mouloud Mammeri ni contre la répression. «Il déplorait en catimini le fait que le régime n’ait pas su trouver les bonnes astuces pour démonétiser le conférencier à moindre frais et faire ainsi l’économie de l’adhésion populaire avec un mouvement qui a ébranlé les fondements du système. Il faut d’ailleurs relever que l’actuel chef de l’Etat n’a jamais exprimé publiquement les positions que lui prêtent ses courtisans», a relevé Sadi, précisant qu’il était l’un des acteurs de cette séquence de notre histoire et que les hasards de la vie politique lui avait permis d’entendre, de la bouche même de Abdelaziz Bouteflika, son analyse de la gestion du Printemps amazigh par le pouvoir de l’époque.
L’ex-président du RCD est ainsi revenu sur cet événement qu’il avait vécu personnellement. «Nous sommes en 1999. Abdelaziz Bouteflika, revenu aux affaires après une ‘élection’ tumultueuse, promet néanmoins de changer l’Algérie. Les premières déclarations et décisions sont symboliquement fortes et donnent à penser qu’il est déterminé à casser les codes du conservatisme politique ambiant. Un colloque sur Saint Augustin, un autre sur le statut de la femme avec Simone Veil en invitée d’honneur, la réhabilitation du français dans l’expression officielle, la rencontre avec Shimon Perez à Formentor (Baléares) et même, suprême audace, la chaleureuse poignée de main avec le Premier ministre israélien Ehud Barak, croisé à Rabat à l’occasion des funérailles de Hassan II… Le rythme est soutenu et les actions publiquement assumées ne manquent pas de surprendre. Sollicité, le RCD décide de répondre aux invitations qui lui sont adressées pour sonder la consistance de ces promesses», a relevé Sadi. Et de préciser que «c’est à l’occasion d’une de ces rencontres qu’est abordé avril 1980».
«Dubitatif sur les réelles possibilités d’ouverture, je pose comme condition à toute éventualité de collaboration l’installation officielle des commissions de réforme de la justice, de l’éducation et de l’Etat. Le tout nouveau chef de l’Etat fait mine de s’agacer de notre scepticisme avant de lâcher : je connais le système mieux que quiconque. Je sais comment le faire évoluer. C’est très bien, notre demande ne peut que renforcer vos intentions, répliqué-je», a souligné Sadi, pour qui Bouteflika avait dit que «les autres ne savent pas faire». «Tenez, par exemple en 1980, ils n’ont pas su s’y prendre, ils ont très mal géré l’affaire. Je confirme. Ce n’est pas comme cela qu’il aurait fallu faire. Et comment auriez-vous fait ? Moi je n’aurai pas intercepté Mammeri pour interdire la conférence. (Bouteflika prononce le nom de l’écrivain en emphatisant lourdement le «r»). Personnellement, je l’aurais invité à un festin chez le wali et je l’aurais fait savoir. Ensuite, je l’aurais fait accompagner par quatre motards à l’université. Partout, les étudiants se méfient des intellectuels qui s’affichent avec les autorités. Sa conférence serait passée inaperçue et peut-être même que des étudiants l’auraient chahuté», a écrit Sadi, qui a affirmé avoir répondu à Bouteflika en lui disant : «C’est à moi que vous dites cela. Mais passons sur ma position, qu’est-ce que la ruse aurait réglé quant au fond du problème ? Il ne faut pas me demander d’être autre chose qu’un enfant du Mouvement national. Et que doit en penser l’enfant de la Soummam ?»
Saïd Sadi a assuré que «le reste de la discussion fut assez tendu ; essentiellement à cause de mon refus d’entrer personnellement au gouvernement et du contenu des réformes à engager ; mais cela est un autre sujet».
Aussi, Saïd Sadi estime qu’il est difficile de croire que Bouteflika, qui prêta allégeance à Chadli pour être épargné par la Cour des comptes après la mort de Boumediène, puisse «se démarquer et encore moins dénoncer les décisions du chef de l’Etat sur un dossier particulièrement sensible qui, de surcroît, ne figure pas, loin s’en faut, au registre de ses préoccupations politiques».
H. A.
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