Par Abdelkader S. – L’agitation inhabituelle qui règne ces jours-ci dans les couloirs de la diplomatie française contraste avec le silence glacial qui émane d’Alger. Ce jeudi, la secrétaire générale du ministère français des Affaires étrangères, Anne-Marie Descôtes, atterrit à l’aéroport Houari-Boumediene, accompagnée d’un haut cadre du ministère de l’Intérieur. Un geste interprété à Paris comme un nouveau signe de «réchauffement» entre les deux pays. Depuis la grâce accordée par le président Abdelmadjid Tebboune à l’agent de la DGSE Boualem Sansal, les responsables français se succèdent pour saluer ce qu’ils qualifient de «reprise du dialogue», laissant même entendre qu’une rencontre entre Macron et Tebboune pourrait avoir lieu prochainement en marge du sommet du G20 en Afrique du Sud.
Mais derrière ces déclarations mises en scène – Même l’ancien ambassadeur François Gouyette s’est joint à la chorale, apportant son soutien à Bruno Retailleau –, une autre réalité apparaît. La France persiste à mener non pas un dialogue, mais un monologue. Les priorités affichées par Paris restent strictement unilatérales et centrées sur ses propres intérêts, au point d’ignorer superbement les revendications algériennes qui conditionnent pourtant tout progrès réel dans la relation bilatérale.
En effet, dans les prises de parole françaises, un seul leitmotiv revient. La libération du journaliste Christophe Gleizes, la reprise totale des relations consulaires afin d’obtenir davantage de laissez-passer pour exécuter les obligations de quitter le territoire français (OQTF) visant des ressortissants algériens, ainsi que la relance de la coopération sécuritaire et migratoire. Autrement dit, Paris ramène systématiquement la relation algéro-française à ses préoccupations internes.
Pendant ce temps, les demandes formulées par l’Algérie sont reléguées au silence. Les autorités algériennes rappellent pourtant depuis des mois que toute normalisation passe par des engagements concrets de la France, à savoir l’extradition d’individus réclamés par la justice algérienne, dont l’ancien ministre Abdeslam Bouchouareb, condamné dans plusieurs dossiers de corruption, ainsi que les chefs de file du MAK (fasciste) et de Rachad (islamiste), deux organisations classées terroristes. L’Algérie réclame également la remise des subversifs qui agissent depuis le territoire français pour le compte de services étrangers, français et marocains notamment, dans des activités hostiles aux intérêts de l’Algérie. Un dossier explosif que Paris continue d’ignorer superbement.
Cette asymétrie criante alimente la méfiance algérienne et explique le refus d’Alger de s’aligner sur l’enthousiasme diplomatique affiché par la France. Le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, l’a d’ailleurs affirmé sans détour lors de sa dernière conférence de presse. La grâce accordée à Boualem Sansal, tout comme sa condamnation, n’a aucune importance stratégique dans la relation entre les deux pays. Un message clair adressé à Paris, qui tente de transformer un geste symbolique en signe de réconciliation durable.
En réalité, si Paris affiche un optimisme béat, c’est pour mieux masquer l’inertie de sa propre approche. La France continue de regarder l’Algérie comme un prolongement de ses préoccupations internes et de ses urgences politiques. Or, pour Alger, la relation ne progressera pas tant que Paris n’acceptera pas de la reconfigurer sur une base strictement égalitaire, débarrassée des réflexes postcoloniaux qui continuent de la hanter.
Dans ce contexte, l’arrivée de hauts responsables français à Alger risque de n’être qu’une nouvelle opération cosmétique. Car tant que Paris persistera dans ce dialogue à sens unique, la crise restera exactement là où elle est : au point mort.
A. S.


