Le voile : symbole de l’avilissement de la femme
Par Mesloub Khider – De nos jours, le passé siphonne le présent et obstrue l’avenir.
Dans sa genèse, c’est-à-dire dans sa formation anthropologique et historique, tout comme dans sa version postérieure religieuse, aujourd’hui perpétuée illégitimement par les musulmans, le voile symbolise l’avilissement de la condition féminine.
Il ne fut jamais une mode vestimentaire inventée par la gent féminine pour se mettre en valeur, un apparat adopté pour rendre la femme plus séduisante. L’invention en revient à l’homme, au mâle en mal de domination. Et contrairement à l’opinion communément répandue, le voile n’a pas été inventé par l’islam. Il est apparu des milliers d’années avant la naissance de l’islam.
Produit de sociétés tribales, c’est une survivance archaïque perpétuée par l’homme pour pérenniser son pouvoir de domination sur la femme. Il s’inscrit dans cette opposition culturelle millénaire entre la ville et la campagne.
La fonction fait l’organe. La femme, dès l’origine de l’hominisation, s’est trouvée handicapée par ses fonctions naturelles. Plus précisément par ses régulières menstrues. Ses fréquentes grossesses. De manière générale, condamnée périodiquement au repos en raison de l’affaiblissement de son corps endolori par les menstrues ; amoindrie physiquement par ses récurrentes grossesses, au point de réduire son activité ; prisonnière durant des années de l’éducation de sa progéniture, élevée dans l’enclos domestique : la femme, invalidée par ses multiples fonctions naturelles et occupations féminines, s’est ainsi trouvée contrainte de réduire considérablement ses déplacements, ses activités laborieuses opérées en dehors du périmètre tribal, notamment pour pouvoir s’adonner à la chasse. Chasse devenue ainsi, sans jeu de mots, la chasse gardée de l’homme.
Dans cette période reculée où l’homme vivait sans feu, sans armes, il devait surtout affronter des bêtes extrêmement féroces. Dès ce moment, vivant en groupes, ces activités prédatrices ont influé sur l’évolution physique, mentale et sociale de l’homme.
Ainsi, la chasse, cette activité prédatrice requérant l’usage de la force, a permis à l’homme de développer sa musculature, d’aguerrir son tempérament agressif, d’affermir son caractère calculateur, diligent, prévoyant. La fonction faisant l’organe, l’homme nous prouve que, grâce à ses fonctions prédatrices développées au cours de l’évolution de l’humanité, ses organes se sont métamorphosés. A contrario, à cause de son inactivité sécrétée par ses régulières grossesses, les organes de la femme se sont atrophiés (de nos jours, la participation depuis plus d’un siècle de la femme à l’activité professionnelle a réduit considérablement les différences physiologiques. Elle est tout aussi capable et compétente d’accomplir des fonctions jusque-là réservées à l’homme. Pareillement en matière sportive. Son infériorisation millénaire a des origines sociales et non pas génétiques).
Somme toute, l’exclusion de la femme de cette activité prédatrice propice à l’accroissement de la corpulence musculaire a eu raison de ses facultés physiques, diminuées considérablement au fil de l’évolution de l’humanité. Cette faiblesse corporelle de la femme a fini par la rendre plus vulnérable. Devenant ainsi une proie facile pour l’homme avide de domination favorisée par ses triomphales batailles obtenues contre les fauves. Grâce à ses exploits réalisés dans le cadre de ses activités de chasse, lui prouvant sa supériorité sur certaines espèces animales capturées, son inclination à la domination va germer, s’affirmer, s’intensifier.
Ainsi, fragilisée physiquement par ses menstrues et grossesses répétées, retirée de la vie laborieuse prédatrice propice à l’affermissement musculaire, activité dévolue exclusivement à l’homme, cantonnée dans les tâches domestiques accomplies dans un périmètre réduit à l’enclos tribal, la femme finit par perdre tout contrôle de son être. Et devenir ainsi la proie d’asservissement. Progressivement, l’homme va succomber au prurit de la domination. Après avoir, par sa force, exercé son pouvoir sur certains gibiers capturés pour la nourriture de la tribu, il étend son emprise oppressive sur la femme. Cette femme défavorisée physiquement. Ensuite dévalorisée socialement. Mais favorisée sentimentalement. Valorisée humainement. En effet, contrairement à l’homme, engagé dans un processus d’ensauvagement à force de côtoyer les bêtes dans ses activités prédatrices, la femme conservera cette sentimentalité humaine des premiers hominidés, favorisée notamment par son exclusive activité nourricière et protectrice exercée auprès de sa progéniture. Nous rejoignons là la question de la phylogenèse. L’homme façonnera sa personnalité au contact des fauves fréquentés dans les forêts sauvages loin de sa tribu. Cela donnera naissance à cette brute toujours aussi barbare. La femme, elle, conservera intacte son humanité grâce à ses relations privilégiées établies uniquement avec les membres de sa famille installée au sein de la tribu. Ses liens noués exclusivement avec les humains lui permettront, grâce à sa sentimentalité, sa sensibilité, son émotivité, de sauvegarder son humanité. Et par extension, l’Humanité.
En raison de la faiblesse physique de la femme, il était ainsi plus commode et possible pour l’homme de s’approprier une femme – voire plusieurs – et de les traiter comme des objets lui appartenant.
Progressivement, par sa soumission au pouvoir de l’homme, la femme finit par devenir un objet d’exploitation. C’est le début de la division sexuelle du travail.
De fait, dans l’interminable développement ininterrompu des assujettissements jalonnés par l’esclavage, le servage, le colonialisme, le salariat, la femme fut le premier être humain à être asservi, opprimé, exploité.
Au cours de cette phase du développement de l’histoire encore inscrite au stade tribal, les sociétés primitives sont caractérisées par la généralité de l’exogamie, c’est-à-dire l’interdiction d’épouser une parente légale. Pour protéger son territoire vital contre les incursions de ses voisins, assurer la sécurité de ses zones de chasse, la société tribale a instauré cette institution matrimoniale nommée exogamie.
En effet, pour réduire les conflits entre tribus et ainsi tisser des liens de cohabitation pacifique, la femme servira de moyen (monnaie) d’échange. C’est la naissance de l’exogamie. La fille n’est plus réservée aux membres mâles de la tribu, comme dans le cas de l’endogamie, mais offerte à un membre mâle d’une autre tribu.
Au cours de ce développement de l’humanité, l’instauration de l’exogamie entraîne de profonds changements de mentalité. Les relations sexuelles entre membres d’une même famille seront désormais proscrites. C’est la naissance de la prohibition de l’inceste. Et la preuve d’absence de rapports sexuels noués avant la livraison de la femme au membre mâle d’une autre tribu était administrée par le constat de la virginité de la femme. Le premier pilier de la nouvelle humanité inégalitaire fut donc le tabou de l’inceste favorisé par l’exogamie. Le second pilier corrélatif sera la virginité de la femme (mais, paradoxalement, jamais de l’homme, évidemment).
Victime d’oppression, d’exploitation dès la phase paléolithique, l’avilissement de la condition de la femme s’accentuera au stade néolithique, c’est-à-dire avec la naissance de la ville, favorisée par la révolution de l’agriculture.
Somme toute, avec la révolution néolithique, il ne sera plus nécessaire de se contraindre aux relations de bon voisinage. Grâce à la culture des céréales et à la domestication des animaux, c’est-à-dire l’abondance des troupeaux et des champs agricoles, on pourra désormais chasser et dévaster à volonté. On pourra surtout garder ses femmes, prendre celles du voisin. Instaurer la prohibition de l’échange de femmes. Réintroduire l’inceste, la polygamie, la guerre, le racisme, l’esclavage. Et surtout l’obsession de la virginité féminine. C’est la naissance dans certaines régions du monde de l’endogamie.
Ainsi, si la révolution néolithique permet l’éclosion extraordinaire des forces productives, notamment dans les villes, illustrée par le développement de l’artisanat, l’invention et la diffusion de l’agriculture et de l’élevage, la navigation, le tissage, la céramique, des fonctions administratives et gouvernementales, ainsi que des activités intellectuelles permises grâce à l’invention de l’écriture, cette révolution néolithique ne profitera jamais à la femme. Elle lui sera fatale. Toutes ces nouvelles activités artisanales, administratives et intellectuelles seront l’apanage de l’homme. La femme étant totalement exclue de ces nobles et productives tâches.
C’est au cours de cette longue période du développement des villes, notamment dans les régions de la Mésopotamie et le pourtour méditerranéen, que le voile va prendre naissance, s’imposer aux femmes.
Paradoxalement, la ville se révélera plus oppressive à l’égard de la femme que la tribu. En effet, dans la tribu, quoique assujettie au pouvoir de l’homme, la femme est libre. Elle circule librement dans la tribu. Elle arbore fièrement son visage et sa chevelure au sein de sa tribu. Elle évolue parmi ses semblables membres de la tribu sans aucune contrainte.
C’est dans ce contexte de la naissance de la ville qu’il faut donc situer l’imposition du voile à la femme. Et de manière générale, la dégradation de la condition féminine.
En effet, la ville, alimentée par le flux continu de nouveaux «migrants» issus des tribus environnantes sédentaires ou nomades, va constituer une agression pour ces nouveaux résidents citadins détribalisés. Particulièrement pour les femmes exposées au regard des autres citadins. Pour les soustraire au regard des étrangers, les parents mâles (père, frère ou mari) cloîtreront leurs femmes sous le voile. Le voile deviendra ainsi la nouvelle prison ambulatoire de la femme fraîchement citadine. Emmurée dans sa demeure urbaine, elle sera tout aussi encagée sous le voile dans ses rares sorties autorisées par le mâle. En effet, outre la restriction sévère imposée à la circulation de la femme seule en dehors du périmètre restreint de sa résidence familiale, la femme dans ses déplacements obligatoirement accompagnée doit impérativement porter le voile. Il y a, en effet, une relation de cause à effet entre endogamie tribale (ou plutôt sa dégradation) et un certain avilissement de la condition féminine (c’est dans cette tradition millénaire marquée par la dégradation des sociétés tribales confrontées à leur urbanisation qu’il faut situer l’apparition récente du voile dans les sociétés contemporaines musulmanes fraîchement urbanisées, mais encore fortement tribales, et non au retour du refoulé religieux. Pour preuve, au début de la montée de l’islamisme en Algérie, comme ailleurs, la première revendication des islamistes a été l’exigence agressive du port du voile. Et non pas l’obligation de faire la prière pour tout le monde. L’obligation de respecter le ramadan. D’accomplir son devoir du hadj. Préceptes fondamentaux du coran. La femme, voilà l’ennemi de l’islamiste. Et celles qui résistaient à leur diktat ont été agressées, violentées, voire vitriolées).
La claustration de la femme, son «encagement» résulte d’un blocage culturel, ou, pour user d’un terme freudien, d’un conflit. Tout comme les nœuds psychologiques, le conflit en question paraît être le produit d’une contrariété chronique, d’une agression habituelle, à laquelle l’organisme – la société tribale – répond par une mise en défense.
Le voile des femmes s’explique par l’urbanisation des sociétés tribales. Les femmes ne se voilent que lorsqu’elles habitent une ville. Les femmes des campagnes circulent à visage découvert.
Et l’Algérie, tout comme la plupart des pays musulmans émergeant à peine de leur société tribale, illustre parfaitement ce malaise dans la civilisation (parlant d’Alger, un ami algérien architecte a su décrire de manière pertinente la configuration urbaine de la capitale : il a indiqué à propos d’Alger qu’elle a été victime ces trente dernières années d’une véritable entreprise de ruralisation. Le citadin a complètement été phagocyté par le rural. C’est un phénomène unique dans l’histoire urbaine. Longtemps, depuis la naissance de la ville, c’est la ville qui absorbait l’apport rural grâce à la supériorité de sa culture citadine. Aujourd’hui, la mentalité rurale semble avoir triomphé du clivage ville-campagne. En vérité, ce triomphe est illusoire. Cette victoire des forces rétrogrades est éphémère. Car c’est un combat d’arrière-garde et sa précaire réussite n’a été obtenue qu’à la faveur d’une conjoncture mondiale capitaliste marquée par la décadence, le recul passager des forces progressistes. La lutte des islamistes, derniers vestiges des sociétés archaïques, menée faussement au nom de la religion, dissimule en vrai un combat des forces réactionnaires animées par une mentalité tribale toujours vivace réfractaire à toute modernisation de la société. Et particulièrement opposées à toute émancipation de la femme).
Ainsi, la ville va considérablement pénaliser la femme. Par son confinement dans l’enclos familial imposé par l’habitation urbaine, comme par son enfermement sous le voile dans ses rares pérégrinations citadines, la femme a subi une véritable dégradation de sa condition sociale. Exclue de la vie sociale, de la vie économique, de la vie politique, la femme sera réduite aux simples tâches animales reproductives et à l’éducation de sa progéniture. Cette exclusion multiforme des activités productives nobles et des occupations intellectuelles valorisantes perdurera pendant des milliers d’années, jusqu’au milieu du XXe siècle.
Les religions monothéistes, notamment l’islam, ne feront que consacrer, voire sacraliser cette tradition du port du voile imposé à la femme. Selon certains théologiens musulmans sincères, le port du voile ne constitue nullement une prescription coranique. Cette pratique du port du voile relève d’une tradition millénaire née au lendemain de la naissance des villes, comme on vient de le démontrer ci-dessus. De sorte que l’argument religieux islamique pour justifier et légitimer l’obligation du port du voile est fallacieux.
De nos jours, cet avilissement des femmes, cette forme d’aliénation, représente actuellement la plus massive survivance de l’asservissement humain. Et la femme, comme beaucoup d’esclaves, est souvent complice.
Ce sont les évolutions induites par la révolution urbaine, ou plus exactement les réactions de défense opposées par les sociétés tribales à leur urbanisation récente, qui sont responsables de la dégradation de la condition féminine. Bousculées dans leurs millénaires traditions, ces sociétés s’acharnent à perpétuer leurs idéaux à l’intérieur des murailles urbaines. Ces individus chargés lourdement de convictions réaniment, à chaque génération marquée par l’afflux de nouveaux migrants, leurs traditions tribales. Le nouveau transplanté ne devient pas du jour au lendemain un citadin libéral. La ville lui fait subir une série d’offenses. Blessé dans ce que sa personnalité a de plus essentiel, agressé dans ses convictions tribales, le nouveau transplanté dresse une muraille – un voile – entre les valeurs de la ville et ses convictions tribales. Il vit mal ces promiscuités urbaines. Pour échapper aux regards des étrangers, il va tendre un véritable «rideau de fer» (d’enfer) entre la société des hommes et les femmes (pour la protéger, argue-t-il, pour défendre son honneur, clame-t-il).
On prête cette phrase au prophète Mohamed : «Cela (la charrue) n’entrera pas dans la demeure d’une famille sans que Dieu y fasse entrer aussi l’avilissement.» En d’autres termes, on n’intègre pas la ville (on ne se sédentarise pas) sans subir la dégradation de ses mœurs (tribales).
Paradoxalement, les partisans hystériques du port du voile invoquent des arguments religieux islamiques pour justifier et légitimer une pratique païenne. En effet, le port du voile imposé à la femme est une survivance tribale païenne. Ne figurant réellement dans aucune sourate, elle est censée contrevenir aux prescriptions authentiques du coran. N’est-elle pas perpétuée en vérité au nom de cette millénaire domination masculine dont l’homme musulman contemporain semble difficilement se départir. Au nom de cet atavique attachement obsessionnel à des traditions misogynes toujours aussi prégnantes.
Comme on l’a démontré plus haut, l’origine du port du voile imposé à la femme s’inscrit dans une longue tradition millénaire marquée par l’avilissement de la condition féminine. Le port du voile ne constitue aucunement un signe religieux. Encore moins un pilier de l’islam. Ni une prescription coranique. C’est un vestige parmi d’autres de l’ancien monde qui refuse de mourir dans de nombreux pays, notamment en Algérie. Un monde dominé par des hommes demeurés fixés au stade enfantin et infantile de l’humanité.
La misogynie transcende les frontières et les temps. Depuis l’aube de l’humanité, la condition de la femme fut réduite à une perpétuelle nuit.
Drôle d’humanité qui piétine sa moitié pour avancer en entier. D’ailleurs, a-t-elle vraiment avancée, progressée, évoluée depuis la nuit des temps ? Ne continuons-nous pas à vivre encore dans les temps de la nuit ?
L’aube de l’Humanité tarde à éclore, à s’éveiller.
M. K.
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