Une contribution de Sefu Mbarga (*) – Depuis près de deux décennies, la présence de l’Africom, le Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique, sur le continent africain symbolise l’une des formes les plus persistantes du néocolonialisme contemporain. Présenté comme un dispositif destiné à renforcer la sécurité et la stabilité, l’Africom s’est progressivement imposé comme le bras armé d’un ordre mondial qui maintient l’Afrique dans une position de dépendance politique, économique et militaire. Loin d’être un simple réseau de bases d’opérations, il constitue le pivot d’un système plus vaste qui fragilise la souveraineté des Etats africains et perpétue une dynamique d’ingérence étrangère.
Cette réalité s’inscrit dans la continuité d’une longue histoire de domination. Après la colonisation directe des XIXe et XXe siècles, les ajustements structurels imposés par les institutions financières internationales ont inauguré une nouvelle ère d’ingérence économique. Aujourd’hui, la militarisation du continent complète ce triptyque. Le FMI, la Banque mondiale et divers accords de libre-échange approfondissent la dépendance économique, tandis que l’Africom consolide sur le terrain une architecture de sécurité tournée vers la protection des intérêts étrangers plus que vers l’autonomie africaine.
Les bases militaires disséminées de Djibouti à la Somalie, du Niger au Sahel, ne sont pas de simples outils logistiques. Elles expriment la permanence d’un rapport de force où la souveraineté africaine demeure conditionnelle. Elles renforcent un système dans lequel multinationales, gouvernements complices et puissances étrangères se coordonnent pour sécuriser l’accès aux ressources stratégiques – minerais, pétrole, terres rares – tout en marginalisant les populations locales. Les exemples du Delta du Niger, de la RDC ou du Zimbabwe illustrent ce paradoxe : un sous-sol riche, mais des communautés laissées dans la pauvreté et l’instabilité.
Pourtant, malgré ce contexte, l’Afrique n’a jamais cessé de résister. Des mouvements populaires au Kenya, au Nigeria ou en Ouganda, aux mobilisations qui secouent le Sahel, une conscience nouvelle émerge, celle d’une lutte qui relie les injustices internes aux mécanismes globaux de domination. Ce renouveau inscrit ses pas dans l’héritage des visions panafricanistes de Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba ou Thomas Sankara, pour qui l’unité africaine constituait la clé d’une véritable indépendance.
Défaire l’héritage néocolonial exige aujourd’hui plus qu’un retrait militaire. Il s’agit de transformer les structures qui entretiennent la dépendance – politiques, économiques, culturelles – et de redonner aux peuples africains la maîtrise de leurs ressources et de leur avenir. Une telle démarche implique l’éducation politique, la dénonciation des élites compradores, mais aussi la solidarité continentale et internationale avec tous les peuples qui luttent contre l’ingérence.
L’Afrique se trouve à un tournant. Le choix est clair : perpétuer un modèle qui favorise la militarisation et l’extraction ou s’engager résolument vers une souveraineté réelle, fondée sur l’unité, la justice et l’autodétermination. La montée des mouvements citoyens montre que cette transformation est non seulement nécessaire, mais possible. Pour bâtir une Afrique libre et maîtresse de son destin, il faut rompre avec les structures du néocolonialisme – militaires, économiques et idéologiques – et ouvrir la voie à un continent réellement autonome, uni et tourné vers son propre avenir.
S. M.
(*) Universitaire (Cameroun)


