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La marche à la guerre

Par Khider Mesloub – La publication récente du sondage de l’IFOP sur «l’islam et l’islamisme des musulmans de France» vient rappeler que la France bourgeoise accélère ses préparatifs de guerre. Qui dit guerre, dit union nationale sacrée. Uniformisation de la pensée. Unification des organisations politiques.

Or, les Français et immigrés de confession musulmane sont suspectés de former une cinquième colonne du fait de leur refus d’adhésion aux «valeurs républicaines», de leur défaut de patriotisme. En un mot, de leur supposée insoumission à l’ordre dominant et insubordination politique induites par leur ferveur religieuse islamique.

Les Français musulmans sont accusés de cultiver la foi islamique mais jamais la fibre patriotique française.

Le titre même du rapport – «Etat des lieux du rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France : entre réislamisation et tentation islamiste» – illustre cette accusation de trahison des valeurs républicaines portée contre les Français et immigrés de confession musulmane.

Ainsi, ce rapport transforme une fraction du prolétariat issue des migrations postcoloniales en population suspecte.

A quoi sert la fabrication de ce rapport destiné à mesurer le niveau d’orthodoxie religieuse et de tentation politique «islamiste» sinon à jeter la suspicion sur ces Français musulmans accusés de manquer de loyauté nationale ? En effet, la citoyenneté des Français issus de l’immigration musulmane est fréquemment mise en question. Pire, ces Français sont systématiquement suspectés d’avoir une identité nationale de façade et de manquer de loyauté envers la France.

Le commentaire final de François Kraus, directeur de pôle politique et actualité de l’IFOP, confirme cette accusation de manquement de loyauté nationale portée contre les Français de confession musulmane : «L’étude montre une réislamisation durable», «un renforcement du rigorisme», «une tentation islamiste générationnelle». Autrement dit, François Kraus reproche aux Français musulmans d’être trop visiblement musulmans, de demeurer invariablement musulmans de génération en génération. Nous avons affaire à un véritable discours politique, et non pas à une description sociologique d’un sondage.

La fabrication de ce sondage, fondé sur des comparaisons historiques anachroniques, des omissions méthodologiques et un échantillonnage problématique, vise également un autre objectif : la production d’un ennemi intérieur dont l’Etat capitaliste français a besoin pour justifier et renforcer sa gouvernance totalitaire, pour ne pas dire fasciste.

En effet, à l’heure où la France impérialiste se prépare à conduire des guerres extérieures de «haute intensité», où la crise du capital français atteint un seuil de décomposition irréversible, la bourgeoisie a besoin d’un drapeau extérieur pour l’union sacrée et d’un coupable intérieur pour la propagation de la peur, l’amplification de la surveillance, le raffermissement de la discipline.

Ce sondage traduit au vrai les craintes de la bourgeoisie française, sa profonde démoralisation. De là s’explique son besoin de fabriquer une cohésion nationale autour d’un ennemi musulman remplissant un double objectif. D’une part, par l’alimentation de la haine des musulmans, accusés d’«avoir une identité nationale de façade et de manquer de loyauté envers la France», pour ressouder l’unité nationale. D’autre part, par l’instrumentalisation de la population musulmane jugée insoumise et rebelle, pour intensifier les mesures sécuritaires coercitives et répressives contre l’ensemble des Français. Sous le capitalisme décadent, guerre extérieure et guerre intérieure avancent toujours ensemble.

Ainsi, en réalité, l’offensive contre les Français et immigrés de confession musulmane s’inscrit dans la dynamique belliciste de la marche forcée à la guerre. Or, la bourgeoisie française est consciente que les prolétaires musulmans sont instinctivement réfractaires, opposés à tout enrôlement. Autrement dit, ils sont engagés dans une logique d’«objection de conscience». Pour la bourgeoisie, cette frange de la population risque de contrecarrer et donc compromettre son projet de guerre.

Il faut donc commencer à la criminaliser dès maintenant pour justifier, le moment voulu, l’enfermement dans les camps de concentration de milliers d’éléments désignés comme dangereux, internés pour l’exemple.

Aussi s’active-t-elle à les neutraliser avant le déclenchement de la guerre, c’est-à-dire les mettre hors d’état de nuire. Et comment ? Par la création d’un climat d’hostilité croissant qui les acculerait au départ volontaire vers leur pays d’origine, par leur mise en accusation qui justifierait leur expulsion du territoire français.

L’étude de l’IFOP tombe à point nommé. Elle fournit «scientifiquement» la matière brute pour renforcer la surveillance, légitimer les lois d’exception, désigner une fraction de la population suspecte, détourner la colère de la crise économique, reconfigurer la conflictualité autour d’un axe culturel et confessionnel.

Cette étude, quoiqu’elle dévoile à juste titre l’existence d’un phénomène d’islamisation de la France, elle se trompe dans l’explication de la montée de l’islam. Si montée de l’islam il y a, y compris de ses courants ultra-conservateurs ou réactionnaires, elle est imputable à la décomposition de la France, à l’effondrement de son économie, à l’explosion de sa dette, à son déclassement impérial ; en un mot, de la perte de l’emprise de sa reproduction économique et sociale normative.

La montée de l’islamisme en France est l’effet de cette décomposition de la France. Et non sa cause. Elle est corrélée à la destruction des organisations ouvrières, relégation des quartiers populaires, vacuité politique totale, décadence culturelle française, flambée du racisme anti-arabe, absence de valeurs humanistes unificatrices et mobilisatrices, de projet émancipateur, de perspective révolutionnaire visible.

L’islamisme a poussé dans le terreau de la décomposition de la société française. Il est le frère siamois et néanmoins rival du populisme occidental, de l’identitarisme français, du suprémacisme sioniste, du fascisme mondial, toutes ces idéologies immondes engendrées par le capitalisme.

K. M.

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