Contribution – L’illusoire modernisation de la langue arabe à l’ère de la crise
Par Mesloub Khider – «La langue propre à chaque peuple peut devenir un grand pont pour son propre avenir.» (Stendhal)
En cette période de crise, à l’heure des règlements de comptes avec l’économie rentière trop longtemps insouciante du développement industriel productif, on préfère régler ses comptes à la langue arabe censée impulser le développement de l’Algérie vers la modernité, via la modernisation de l’enseignement. On veut redonner à l’arabe ses lettres de noblesse pour renouer avec la noblesse des lettres arabes.
Ainsi, pour tenter d’amorcer la modernisation du pays, en proie à une crise sociale et économique profonde, nombreux sont ceux qui réclament la modernisation de la langue arabe afin de permettre l’amélioration du système éducatif algérien coupable, selon eux, de l’échec scolaire des élèves et donc du sous-développement économique de l’Algérie.
Certes, il est louable de vouloir moderniser la langue arabe pour la rendre plus «compétitive», faute de la rendre plus littéralement imaginative, en renouant avec sa prolifique poésie préislamique créative. Mais encore faut-il s’entendre sur le concept de modernité ou de modernisation. Car la modernisation d’une langue implique déjà que soit acquise cette modernité. En effet, la langue suit la modernisation de la société et non l’inverse. Or, dans le cas de l’Algérie, on peut douter de l’existence de cette modernité.
On ne révolutionne pas une langue sans révolutionner préalablement les structures sociales archaïques sur lesquelles cette langue repose. On ne bâtit pas une langue moderne dans une société encore prisonnière de mœurs conservatrices. En particulier quand cette langue est érigée en langue sacrée par la religion. Quand elle est consubstantiellement incorporée à la religion à laquelle elle sert de servante de sa pensée théologique, de vecteur exclusif de l’apprentissage coranique.
On ne peut moderniser une langue dans une société dépourvue d’une économie productive, dans un pays à l’économie fondamentalement rentière. C’est le développement économique qui porte la langue, et non l’inverse. Ce n’est pas l’esprit qui guide le monde. C’est le monde concret qui façonne l’esprit. Ce n’est pas la conscience qui détermine l’être, c’est l’être social qui détermine la conscience.
Ce n’est pas la langue qui développe l’économie, c’est l’économie qui développe la langue. A économie sous-développée, langue sous-développée. Dans le cas de l’Algérie, doublement pénalisée, et par le sous-développement économique et par le poids écrasant de la religion, toute modernisation de la langue arabe est illusoire.
Pour accomplir ce saut dans la modernisation de la langue arabe, l’Algérie doit réaliser une double révolution : d’une part, s’arracher au niveau de l’éducation à l’emprise délétère de la religion pour expurger l’enseignement de ses scories religieuses ; d’autre part, changer radicalement d’orientation économique par l’impulsion d’un développement industriel novateur et performant. Tout le reste n’est que littérature.
«La plus haute tâche de la tradition est de rendre au progrès la politesse qu’elle lui doit et de permettre au progrès de surgir de la tradition comme la tradition a surgi du progrès.» (Jean d’Ormesson)
M. K.
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