Contribution – Ayman Al-Zawahiri versus Al-Baghdadi : même combat ?
Par Dr Arab Kennouche – Depuis la mort officielle d’Oussama Ben Laden le 2 mai 2011, et son remplacement par Ayman Al-Zawahri, le visage de l’islamisme radical semble avoir pris de nouvelles formes planétaires par le biais d’une organisation pourtant issu du contexte particulier afghano-pakistanais. Daech, bel et bien né des entrailles d’Al-Qaïda, et qui paraît sous la bannière d’un Al-Baghdadi en tandem avec Al-Zawahri, est destiné à d’autres fonctions que celles du contexte de la guerre froide, de la présence russe en Afghanistan, du jeu global des nations hyperpuissantes se livrant une guerre sans merci pour le contrôle des ressources de la planète.
Ainsi, opposer Al-Baghdadi à Al-Zawahri pourrait sembler de prime abord un simple exercice de style mais, au fond, elle révèle un enjeu de taille dans l’instrumentalisation de la violence islamiste de la part du bloc occidental dont le souci majeur est d’éviter un retournement des groupes islamistes contre ceux qui les contrôlaient en Afghanistan, essentiellement les appareils sécuritaires occidentaux et pakistanais (Isis). En effet, alors que dans un premier temps, il s’agissait de combattre l’URSS et les fondements de l’hérésie communiste, tâche assignée à Al-Qaïda, il s’agirait maintenant de prévenir l’irruption d’un axe sunnito-chiite uni contre tout l’Occident qu’incarnerait la symbolique des attentats du 11 septembre 2001.
Briser un islamisme anti-occidental latent en faisant la promotion d’un radicalisme sunnite anti-iranien intéresse au plus près les stratèges de Washington et de Tel-Aviv de cette fin de décennie, n’hésitant plus cette fois-ci à fomenter le terrorisme islamiste de Daech contre le chiisme de Téhéran, après en avoir fini avec le communisme de l’URSS.
Al-Zawahri ou la matrice anti-occidentale ?
On ne le répétera jamais assez, mais l’islamisme moderne est essentiellement un front idéologique anti-occidental, celui des Frère musulmans, des prêches de Sayed Qotb dénonçant un ordre politique, une culture et une philosophie de la vie étrangère à la présence britannique et française en Egypte. Cette matrice a également nourri la révolution islamique en Iran et, jusque tard, il fut le vecteur du rapprochement de l’Egypte de Morsi et l’Iran d’Ahmadinejad en février 2013.
Axe idéologique anti-occidental par excellence, Al-Azhar Qom a toujours constitué un danger sans précédent contre le leadership des puissances libérales, au point que les Etats-Unis n’ont pas lésiné en moyens pour détruire toute tentative de rapprochement entre Téhéran et Le Caire, entre les deux places fortes du sunnisme et du chiisme, potentiellement alliés contre les Occidentaux. Il faut admettre, en effet, que l’islamisme radical, même pleinement sous contrôle des appareils de sécurité occidentaux, constitue en soi une arme à double tranchant qui peut à tout moment échapper des mains de leurs protecteurs, tel un feu nucléaire, qui se propagerait là où ne l’attendait pas forcément.
Efficace dans l’éradication du communisme, il devient désormais incontrôlable si on ne le cantonne pas à une fonction toute nouvelle et protectrice, celle d’une guerre sunnito-chiite, par Iran et Arabie Saoudite interposée. Grande-Bretagne, France et Etats-Unis ont senti tous les dangers d’un soulèvement qui ne soit plus uniquement arabe, mais national-islamique, un peu comme dans la symbolique du 11-Septembre qui se vécut presque comme un défi de l’islam dominé à l’Occident. La vieille garde d’Al-Qaïda soutenue par Al-Zawahri semblait donc prise en défaut de vouloir sans doute porter le feu en terre américaine, européenne, à partir des camps militaires afghans et pakistanais. L’idéologie anti-occidentale s’était répandue comme une traînée de poudre dans les masses musulmanes, suite au 11-Septembre, si bien qu’il a fallu court-circuiter le phénomène en détournant ce feu contre le monde chiite, et en fomentant une guerre fratricide en terre d’islam qui, aujourd’hui, n’épargne ni la Syrie ni le Yémen, et peut-être un jour l’Iran, le Pakistan. Jouer Al-Baghdadi contre Al-Zawahri ?
Al-Baghdadi, Israël et l’Iran
Le nouvel islamisme radicalisé est un anti-chiisme. Ses nervures se prolongent dans l’ensemble du monde musulman, selon un axe Washington, Tel-Aviv, Riyad, et suivant une nouvelle politique de Trump définie en termes de «sécurité d’Israël». Le chiisme iranien est directement visé, dans sa composante révolutionnaire, comme autrefois on visait le national-communisme russe. Surtout, cet islamisme radical permet de resserrer les rangs de la contestation arabe sunnite, ou nationaliste et même démocrate, contre un ennemi tout désigné, l’Iran des Pasdarans. Daech a même réussi quelques opérations sur le territoire iranien, depuis que tous les efforts de la lutte antiterroriste occidentale ont réussi à manipuler les opinions publiques, en rendant coupable l’Iran du terrorisme international, plus que l’Arabie Saoudite ou les monarchies du Golfe.
C’est aussi par ce prisme qu’il faut voir les dernières passes d’armes entre le Maroc et l’Iran, par lesquelles on a signifié à l’Algérie qu’en cas de conflit au Proche-Orient il ne fallait pas qu’elle bouge d’un iota. Finalement, Daech sert des intérêts géostratégiques qui s’inscrivent dans la lutte globale de deux blocs en opposition totale, le camp de la Russie, de la Chine, de la Corée du Nord et de l’Iran contre le monde occidental. Tel un catalyseur, il prévient l’irruption d’un monde islamique qui pourrait revendiquer son émancipation comme le clame la Révolution iranienne, et qui trouve au Proche-Orient un écho certain jusque dans les populations sunnites.
Finalement, on a étouffé le vieux problème de l’émancipation du monde arabe, musulman, en lui créant un obstacle pernicieux, celui d’un soi-disant impérialisme iranien.
Un monde arabe soumis à Israël
Daech ayant réussi un alignement presque parfait des arabes sur Riyad et Tel-Aviv, on peut se demander comment réagiront les peuples soumis au diktat d’Israël, une fois le projet de destruction des armées iraniennes accompli. La question n’est pas simple car elle induit la perspective d’une guerre active des Arabes contre les Iraniens et leurs alliés, ce qui est loin d’être acquis, étant donné l’état de délabrement avancé des sociétés et des armées arabes, dépassées par une course technologique qu’ils ont perdue. Aucun des pays du Golfe n’est en mesure d’affronter l’Iran militairement.
Deuxièmement, le clivage chiite-sunnite peut s’avérer extrêmement factice, fragile, comme on l’a vu dans le contexte syrien et libanais. Aussi, même si l’Occident a réussi à acheter la passivité des gouvernements arabes, il n’est pas certain que les peuples suivront une fois de plus leurs représentants dans une agression iranienne qui prend des allures de guerre hautement volatile et risquée.
Enfin, le chiisme décrit une aire géostratégique, allant jusqu’aux confins de la Chine, bien plus importante que ne le décrivent les médias. Dans certaines nations comme le Pakistan, il n’est pas un facteur de diversion stratégique aussi important. Il n’en reste pas moins que l’Occident semble presque forcé de canaliser les forces du monde arabe vers une lutte anti-iranienne pour des besoins stratégiques, l’Irak d’aujourd’hui étant l’exemple parfait de ce qui peut advenir dans le Golfe, sous l’effet d’une bipolarisation entre sunnites et chiites radicaux, Daech étant un détonateur puissant de cette vulgate sortie des laboratoires américains.
A. K.
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