Impunité
Par Akram Chorfi – Qu’est-ce qui fait de l’Algérie le pays par excellence où l’action de vigilance anti-malveillance «citoyenne» est l’acte institutionnel le plus courant, souvent préféré aux actions légales, qui sont naturellement prévues dans l’aval judiciaire ?
Tout l’effort institutionnel semble, en effet, tourné vers la gageure de réussir à empêcher 42 millions d’Algériens de frauder, de falsifier, de tricher, de braconner, de mentir, comme si la volonté de l’Etat et sa vocation régalienne consistaient à contenir un comportement anti-citoyen avec des instruments de veille bureaucratique, très souvent «sur-humanisés» par le zèle des acteurs institutionnels, qui rendent parfois les mécanismes insupportables ou qui aident leurs familles et relations à les contourner.
Pourtant, par ce choix de «paternaliser» la relation entre l’Etat et les citoyens, on envoie un message très peu constructif à 42 millions d’Algériens, qui consiste à leur dire qu’entre eux et ce qu’ils veulent obtenir, en dépit et aux dépens des lois de la République, il n’y a que ce rempart de vigilance anti-malveillance, et que s’ils arrivent à le passer ou à le contourner, il n’y a plus rien qui puisse être entrepris contre eux.
Lorsque l’enjeu de la transgression est motivant, alors que la perspective d’une punition reste floue, ou du moins sanctionnée dans l’esprit citoyen par des antécédents d’impunité désormais érigés en règles et perçus, surtout, comme autant de références nourrissant une volonté et une espérance d’impunité, la tendance est à la transgression.
Plus grave encore, la relation paternaliste entre l’Etat et les citoyens, dans le cadre d’une impunité tacitement admise, hypothèque fortement la possibilité d’une intransigeance de l’autorité publique, lorsque la vox populi décide, dans un mouvement de foule agissant, de soutenir des cas de transgression qu’elle entend imposer comme une norme ou auxquels elle décide, comme par une lubie qui défie l’entendement de l’Etat et celui universel, de trouver des circonstances atténuantes.
Cette culture de l’impunité en tant que volonté à chaque fois improvisée des foules, qui est en fait née d’une non-culture de l’Etat et de frustrations aux tenants complexes, cache souvent assez mal une volonté d’impunité revendiquée au nom d’une impunité supposée exister dans les hautes sphères de l’Etat.
C’est ce qui a fait sortir des femmes dans la rue pour demander l’amnistie pour leurs enfants tricheurs aux épreuves de baccalauréat, ce qui pousse des jeunes de l’informel à se considérer comme des victimes, ce qui incite beaucoup de personnes à faire usage de faux documents et à faire de fausses déclarations à l’administration et, moyennant l’échange sur leurs expériences respectives entre citoyens fraudeurs impunis, on donne naissance à un rapport de forces qui défavorise l’autorité publique.
A. C.
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