Mokri et les femmes
Par Kamel Moulfi – Une femme qui a tout l’air d’être «progressiste», membre du gouvernement dont elle est solidaire et donc pleinement engagée, à égalité complète, aux côtés de ses collègues ministres, hommes, peut-elle donner du grain à moudre aux islamistes pour les aider dans leur combat anti-femmes ? Chez nous, oui, c’est arrivé tout récemment et le président du MSP, Abderrezak Mokri, qui tient à son ancrage dans une conception rétrograde de la société, n’a pas raté l’occasion. Mokri sait pertinemment que rien n’arrête le progrès, et que sa conception passéiste est chaque jour un peu plus emportée par les nouvelles réalités qui s’imposent, aussi est-il en permanence à l’affût des résidus de l’archaïsme pour s’y s’accrocher désespérément.
La perche lui a été tendue cette fois par les propos involontairement sexistes et soumis de la ministre de la Solidarité (qui ont choqué tout le monde) et qui ont eu vite trouvé preneurs : les islamistes. Opportunisme et démagogie vont ensemble et font dire n’importe quoi pourvu que ce soit dans ce que l’on croit être le sens du vent dominant. C’est ce qui peut expliquer la sortie inattendue de la ministre de la Solidarité qui a cru étayer sa proposition de renoncement – au nom de la… solidarité – à son salaire de ministre par un «rappel» – l’homme serait «supérieur» à la femme – et en suggérant aux autres femmes cadres de renoncer à leur salaire puisqu’elles ont toutes un époux qui peut subvenir à leurs besoins financiers.
Il serait absolument navrant que Madame la ministre pense vraiment ce qu’elle dit. Car, à son poste, sa mission consiste à aider la femme à se libérer et pour cela, lui permettre d’avoir une autonomie financière, y compris à l’égard du mari. L’autre rôle, consistant à s’opposer au progrès social et à tenter de maintenir la femme dans un statut de mineure à vie, il faut le laisser à Mokri qui en a fait son cheval de bataille et qui veut poursuivre l’action du FIS intensifiée à la fin des années 1980 contre les femmes. L’idéal pour les islamistes est que les femmes restent à la maison et s’occupent uniquement des tâches du foyer que leur assignent les hommes et sous leur autorité.
Dans cette conception, les femmes ne doivent pas travailler, et encore moins gagner de l’argent. La réalité algérienne est tout autre : les femmes sont presque dans tous les métiers et, comme ministre ou députée, elles disposent parfois de revenus qui dépassent très largement ceux des hommes de la famille. A part Mokri et d’autres esprits particulièrement rétrogrades, y aurait-il quelqu’un parmi les proches de ces ministres et députées (ou sénatrices) qui les encourageraient, voire exigeraient d’elles, à renoncer à leurs salaires et indemnités ? L’Algérie s’enorgueillit d’être parmi les pays qui respectent le principe de l’égalité des salaires entre hommes et femmes. La reconnaissance pour les femmes de leur égalité en droits avec les hommes est un acquis de la lutte des femmes depuis celles qui ont participé à toutes les phases de la résistance anticoloniale, en particulier dans la guerre de Libération, aux générations actuelles de travailleuses et cadres qui s’emparent de tous les espaces.
Mokri et les islamistes qui veulent copier le modèle rétrograde d’Erdogan ou celui que mettent en pratique, dans leur milieu, les Frères musulmans égyptiens, ne peuvent faire tourner la roue de l’histoire en sens contraire et revenir à l’ancien temps où la femme n’était rien dans notre société. Maintenant, les jeunes filles jouent au football et pratiquent même la boxe, et pas seulement dans la capitale mais presque partout dans le pays. Elles vont au restaurant, entre copines ou seules, où elles côtoient des hommes attablés à côté, et paient avec leur propre argent, pas celui du mari et encore moins du frère. Quelle hérésie !
K. M.
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