Khalifa tire à boulets rouges sur Bouteflika (XIV)
Le 22 octobre 2003, Khalifa fait une première incursion médiatique fracassante via les quotidiens Le Matin et El Khabar. Dans un communiqué adressé à ces deux journaux dont on dit que leurs directeurs de publication auraient été, en même temps que d’autres, grassement payés sans réelle contrepartie, il tire à boulets rouges sur le président de la République à qui il prédit la même fin honteuse que Slobodan Milosevic. C’est la «mafia», cette «bande d’escrocs», qui ourdit un complot machiavélique contre son Groupe, peste le milliardaire éphémère. Il jure par tous les saints que des têtes vont tomber et qu’il est sur «un travail qui éclairera la lanterne de plus d’un et rafraîchira la mémoire à d’autres». Et, alors que tout le monde s’attend à des révélations qui «feront sauter la République dix fois», dixit l’ancien PDG d’ELF-Aquitaine, Dominique Sierven, accusé lui aussi de s’être joué des lois françaises pour s’en mettre plein les poches, c’est à un ballon de baudruche que les Algériens eurent droit un mois plus tard, dans les colonnes du Soir d’Algérie.
C’est à travers le quotidien francophone algérien que Khalifa décide de glisser une riposte. Elle est annoncée la veille. Une partie de l’opinion se frotte les mains, une autre se tient le ventre. Les ventes des antidiarrhéiques explosent ! Tout le monde brûle de lire l’interview : ceux qui n’ont bénéficié ni des largesses de Khalifa ni des promesses du pouvoir et qui attendent que les choses se gâtent, histoire de passer le temps à l’écoute d’un Khalifa corsant les réalités de détails savoureux ; ceux, patriotes jusqu’aux tripes, qui espèrent voir le grimoire enfin déchiffré pour que justice soit faite pour de bon ; ceux qui attendent que des explications leur soient fournies sur leurs avoirs évaporés des coffres de Khalifa Bank ; enfin, la coterie, les responsables politiques, les artistes, les directeurs de journaux et autres courtisans qui, agissant sous l’empire de la cupidité, se sont arrogé des privilèges excessifs. Les explications, Khalifa croit les devoir d’abord à la presse française pour deux raisons apparentes : primo, l’opinion algérienne a tendance à réfléchir et à réagir par le prisme des médias français ; secundo, Khalifa avait besoin de convaincre les Français plus que les Algériens du caractère infondé des accusations qui l’accablaient pour pouvoir mener à terme ses projets grandioses.
Lundi 10 novembre 2003, un titre unique barre la Une du Soir d’Algérie : «Khalifa parle !» Le temps se fige. Les nerfs se crispent. L’Algérie est réduite à un seul événement. Le sort de tout un pays est suspendu à un raclement de gosier. Aux questions polies, Abdelmoumène Khalifa répond en se mettant dans la peau de celui qui est venu mettre de l’huile dans les rouages d’un Etat grippé : «Lorsque l’Algérie était dans un état de délabrement avancé (…) j’ai pensé qu’il fallait faire quelque chose (…)» Le mécène a la fibre nationaliste quand il explique les raisons de son mutisme : «J’ai gardé le silence parce que j’ai d’abord pensé à mon pays. L’Algérie nous appartient. C’est là-bas que sont mes racines. Mon cœur est en Algérie.» Passée la mièvrerie, Khalifa se jette dans des explications tortueuses. Il ne tombe pas les masques mais rosse les «forces du mal» : «C’est le Président qui a commencé à me traiter de tous les noms lors de sa visite à Batna, en 2001. C’est Ouyahia qui a parlé de nous à l’APN(1). C’est Benachenhou qui a parlé de nous à maintes reprises lors des conférences de presse. C’est ce même Benachenhou qui a insisté sur le fait que le président de la République a ordonné le blocage du commerce extérieur et la liquidation de Khalifa Bank.» Khalifa se défend de vouloir faire de la politique : «Les hommes politiques doivent faire de la politique. Moi, je suis un opérateur économique et je ne m’explique pas que des hommes politiques apportent des appréciations et des jugements sur mes activités.» Khalifa ne fait pas de politique mais s’autorise un flirt avec la «chose» : «J’estime que la présidence de la République est entre de très mauvaises mains. Cet homme (Abdelaziz Bouteflika) a créé un Etat de non-droit en cinq ans. Situation catastrophique, gestion anarchique des affaires de l’Etat, décisions anachroniques ont amené le pays dans une situation d’illégalité absolue.» Et d’asséner : «Le Président actuel met directement en péril l’avenir de la nation (…) Il faut changer la direction du pays !»
La réponse ne tarde pas à lui parvenir. Bouteflika sermonne le «chérubin» en le regardant de haut : «Il profite du capital de l’Algérie et accapare les épargnes des Algériens. Après cela, une fois son forfait commis, s’en va à Londres pour non seulement y fuir, mais aussi pour déverser son venin. Que pourrions-nous dire, pauvre type, qui es-tu donc qu’on sache ta chanson ? Qui es-tu pour qu’on puisse y croire et la retenir ?»(2)
M. Aït Amara
Demain : Les services secrets français s’en mêlent
(1) Le chef du gouvernement a déclaré qu’il n’était plus question de laisser l’économie du pays «entre les mains de charlatans».
(2) Meeting électoral animé à Constantine, le 3 avril 2004.
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