Romano Prodi à Algeriepatriotique : «L’Algérie connaît le Sahel mieux que tous les autres pays»
Algeriepatriotique : Quelle est la situation des populations au Sahel ?
Romano Prodi : La réponse est facile. Malheureusement, sur le plan économique, c’est un désert. La situation ne pourrait être plus difficile. Il n’existe pas d’organisation pour une reprise économique. Il faut travailler durement car ma crainte est que la communauté internationale – pressée par les autres problèmes du monde – oublie le Sahel. Alors, il faut faire vite pour organiser la nouvelle structure économique du Sahel. Quand je parle du Sahel, je veux dire les 60 millions d’habitants qui sont en Mauritanie, au Niger, au Burkina-Faso, au Mali et au Tchad. Ce qui représente la partie la plus difficile du grand Sahel qui s’étend de la Mauritanie à l’Erythrée, mais qui possède aussi un grand potentiel économique.
En quoi consiste la «stratégie régionale intégrée» de l’ONU pour cette région déshéritée ?
Les pays du Sahel sont trop petits du point de vue économique et en termes de population pour avoir un développement intégré et efficace. Il y a maintenant, je ne dirais pas un nouveau printemps pour l’Afrique, mais plutôt un nouvel espoir pour l’Afrique. Il faut prendre toute la région du Sahel et tous les projets qu’il y a en commun et lier le Sahel au territoire africain. C’est la mission que m’a confiée le secrétaire général de l’ONU. Premièrement, nous avons pris des universitaires et des experts du Sahel et non de New York, de Paris ou de Londres pour préparer le développement. Ce dernier sera articulé sur des axes très clairs : agriculture, nourriture, eau, irrigation, ressources animalières, etc. Deuxièmement, il y a les infrastructures : les routes, les aéroports et les chemins de fer, mais aussi les infrastructures modernes de technologie digitale. Troisièmement, nous avons un programme d’électricité basé sur l’énergie solaire. Cela est possible avec les nouvelles technologies. Il faut mobiliser des partenaires comme les Chinois, les Américains et les Allemands pour avoir un maximum d’aide et de contribution. Enfin, il un autre programme s’occupera des secteurs de la santé et de l’école qui sont absolument nécessaires. Ce sont des domaines clairs qui semblent les plus utiles.
Quel rôle l’Algérie pourrait-elle jouer dans le cadre de cette stratégie ?
L’Algérie a une place très importante dans cette stratégie. Elle a un rôle d’aide dans la sécurité, puisque ses frontières avec le Sahel sont sans limites. Le gouvernement algérien essaie d’agir et d’aider sur le plan sécuritaire. Concernant les infrastructures au Sahel, l’Algérie peut être le point de départ de la stratégie qui facilite et aide le mouvement des personnes et le passage des marchandises vers la Méditerranée. L’Algérie est la clé des routes et des liaisons entre le Sahel et la Méditerranée parce que si, dans le futur, il y aura des possibilités d’exportations et de commerce, elles se feront, surtout, vers l’Europe. Egalement, sur le plan de la politique régionale, l’Algérie connaît le Sahel mieux que tous les autres pays. Les Etats du Sahel sont des pays frères pour l’Algérie. Je souhaite voir plus de coordination des efforts des pays du Sahel avec la communauté internationale.
Vous avez déclaré à Alger que, par rapport à la gestion de la crise au Sahel, l’Algérie disposait de moyens que d’autres pourraient ne pas avoir. De quels moyens s’agit-il ?
J’insiste sur la nécessité d’une grande contribution de l’Algérie. L’Algérie est un pays voisin important dans la région. C’est le pays le plus structuré du point de vue politique et elle peut aider à la stabilité du Sahel.
L’intervention de la France au Mali a eu pour effet pervers le renforcement des groupes terroristes, Al-Qaïda, le Mujao et Ansar Dine, qui y sévissent. Un scénario afghan est-il envisageable au Sahel ?
La question du terrorisme est un problème majeur, il n’est pas possible de le nier. La région du Sahel est une zone idéale qui a favorisé un terrorisme mobile et flexible. Et cela est une autre raison pour la nécessité d’une coopération forte entre les pays du Sahel pour empêcher le terrorisme de gagner du terrain.
Vous insistez sur la nécessité de tenir des élections maliennes en juillet. Cette échéance pourra-t-elle être respectée malgré la situation instable dans le pays ?
Pour les élections présidentielles, oui. Il faut redoubler d’efforts et surtout faire vite. Je n’ai jamais caché les difficultés à mettre en œuvre ces élections. Il faut avoir une campagne libre qui assure des élections crédibles. Il n’est pas facile de résoudre tous les problèmes dans un pays qui est en guerre. Les élections présidentielles seront possibles avec de la bonne volonté et il faut en prendre le risque, parce que c’est un passage absolument nécessaire pour rétablir l’autorité au Mali. Il faut avoir un président fort, un président soutenu par le peuple. Autrement, nous pourrions mettre en place toutes les commissions et groupes de travail que nous voudrions, mais s’il n’y a pas d’interlocuteur unique et légitime, cela risque d’être obsolète.
Le conflit malien peut-il s’étendre aux pays limitrophes qui n’ont pas les moyens militaires de faire face à la nébuleuse d’Al-Qaïda ?
S’il y a un travail concerté, non. Mais si nous ne faisons rien, oui. C’est pour cette raison que le secrétaire général de l’ONU a dit qu’il fallait, pour la première fois dans l’histoire, établir un plan concerté par tous les pays. C’est une région partagée par plusieurs Etats.
Vous avez déclaré que le terrorisme était un frein au développement de l’Afrique et que la question de la sécurité au Sahel était préoccupante au plus haut point. Sous quelle forme pourrait être l’action concertée que vous prônez sous l’égide de l’ONU ?
S’il y a un engagement, c’est certain. Un engagement fort du côté de l’ONU changera tout parce que le problème ne se limite pas à la guerre spécifiquement. Nous concevons le problème de sécurité d’une manière globale. La coopération de nombreux pays est très importante. Un message clair de l’ONU pour sensibiliser la communauté internationale sera décisif pour une paix stable. C’est ce que je propose à travers ma stratégie intégrée pour le Sahel.
Vous parlez de résultats «palpables immédiatement» en cas d’accord global sur le dossier sahélien. Quels seraient ces résultats ?
Les pays du Sahel ont beaucoup d’immigrés, de réfugiés et de déplacés. Les résultats pourront être palpables une fois la stabilité retrouvée, mais également à travers l’aide financière destinée à l’agriculture, aux infrastructures, à l’électricité, à la santé et aux écoles. Les taux de croissance ne tarderont pas à augmenter et entraîneront des changements et une ouverture de l’économie du Sahel sur les autres pays africains, dont l’Algérie. C’est cela mon espoir. Bien sûr, le début est toujours difficile.
Vous avez appelé à la libre circulation des universitaires africains vers les pays du Nord. Les capitales occidentales sont-elles réceptives à cette proposition ?
Honnêtement, non. Assurer un flux à sens unique de l’Afrique vers l’Europe n’est pas utile. A mon avis, il faut préparer le retour des Africains vers le continent et créer des relations entre les universités du Sahel. Pour moi, le développement de ces universités est non seulement un projet d’avenir, mais il est nécessaire. Certains sceptiques affirment que les pays du Sahel ne sont pas encore préparés pour une telle intégration, alors que nous avons rencontré des universitaires de cette région qui maîtrisent les questions économiques et connaissent les besoins de leur pays. Ce qu’il reste à faire, c’est mettre ces scientifiques en réseau pour aboutir à des résultats probants. Si les universités africaines travaillent ensemble, il sera plus facile de créer des liens solides avec les universités européennes qui comprendront des accords d’échanges dans les deux sens. Dans ce cas, ce ne seront pas uniquement les universitaires africains qui partiront en Europe pour y apporter leur contribution au développement des économies européennes.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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