L’Etat corrompt le peuple
Par Kamel Moulfi – «Donnez-leur la moyenne, qu’ils prennent leur diplôme et qu’ils débarrassent le plancher !» Celui qui hurle ces ordres est le premier responsable d’une école supérieure censée former l’élite du pays et ceux dont il s’agit sont évidemment les étudiants qui auraient dû refaire leur année. Cela se passe ainsi dans notre système éducatif, tous cycles confondus. Alors, comment s’étonner de voir des candidats au bac, recalés, exiger des autorités qu’elles leur donnent le sésame qui ouvre les portes de l’enseignement supérieur. L’agitation qui a secoué hier – légèrement – la station de métro de la Grande-Poste –, et pour laquelle, aujourd’hui, ont été mobilisés des dizaines de policiers, a pour motif une revendication qui aurait paru incroyable il y a quelque temps, brandie par des contestataires inhabituellement en masse. Les candidats recalés au bac exigent d’être portés comme ayant réussi. Certains d’entre eux ont été disqualifiés pour cause de fraude. Une vidéo commentée par tout le monde a montré comment un examen comme le bac peut être passé sans surveillants avec la liberté, pour le candidat fraudeur, de copier et de tricher sans en être empêché par quiconque. On sait que depuis quelques années, dans certains centres d’examen, des surveillants sont obligés, sous la menace d’armes blanches, de fermer les yeux sur les tricheries pendant les épreuves et parfois de ne pas rentrer dans la salle. Dans ces conditions, l’examen perd toute sa crédibilité et sa valeur. On sait aussi que durant l’année scolaire, les pratiques de corruption ne manquent pas pour inciter les enseignants à donner les meilleurs notes à des élèves qui ne les méritent pas mais qui ont l’avantage d’avoir des parents plein aux as ou bien placés. Ce n’est pas tout, l’ambiance générale est à la recherche d’une caricature de la paix sociale. Les manifestations destinées à agir comme moyen de régulation dans la société en corrigeant les erreurs ou les abus sont instrumentalisées au plan politique par les hommes au pouvoir pour neutraliser la contestation sociale de leur autorité et gagner une clientèle dans la population. Certains parlent même d’une action généralisée de corruption visant les secteurs qui peuvent bouger. Il ne s’agit pas seulement d’augmentations de salaires qui peuvent être méritées mais aussi d’autres avantages comme, à titre d’exemple, certaines bourses d’études (en euros) accordées complaisamment aux enseignants du supérieur. Avant l’interrogation sur la légitimité de la revendication des candidats qui ont échoué au bac, il faut admettre qu’ils ont, dans cette ambiance, toutes les raisons de penser que le bac peut être arraché grâce à des manifestations de rue.
K. M.
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