Mezri Haddad à Algeriepatriotique : «L’intervention de l’armée algérienne à Béja est une invention d’Al-Jazeera»
Algeriepatriotique : Ce mercredi 23 octobre s’ouvre le dialogue national entre Ennahda et ses alliés au pouvoir et l’opposition et les grandes organisations syndicales. Ce dialogue devrait amener les différents antagonistes à adopter une nouvelle feuille de route pour sortir la Tunisie de la crise. Qu’espérez-vous de ce dialogue national ?
Mezri Haddad : En réalité, pas grand-chose. Le triumvirat qui a usurpé le pouvoir il y a deux ans, alors que le scrutin du 23 octobre 2011 portait exclusivement sur l’élection d’une Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution dont les Tunisiens pouvaient se passer et non pas d’élire un gouvernement ou un président, ne partira pas aussi facilement. Cela fait deux ans que ces gens-là s’accrochent au pouvoir au mépris de la volonté générale et de la légitimité démocratique. Deux ans que la Tunisie a un président non élu et illégitime, une Assemblée constituante tout aussi illégitime depuis avril 2012 et un gouvernement usurpateur depuis 2012 aussi. Malgré la détermination de certaines figures de l’opposition, je crains donc que ce dialogue dit national ne mène strictement à rien et qu’il ne soit qu’un anesthésiant pour gagner du temps et endormir une société à bout de patience, qui est passée de l’euphorie révolutionnaire à la dépression collective. Si cette société a encore du ressort et de la combativité, elle devrait descendre dans la rue, ce mercredi, pour incarner le véritable dialogue national et signifier aux usurpateurs de tout bord que l’imposture révolutionnaire est terminée.
Une nouvelle révolution est-elle possible ?
Vous savez, je n’aime pas beaucoup le terme de révolution, même lorsqu’il renvoie à 1789 ou à 1917. A plus forte raison lorsqu’il désigne la fumisterie bouazizienne qui a provoqué ce qu’ils appellent «printemps arabe». Aux traumatismes révolutionnaires, j’ai toujours préféré le réformisme graduel. Les seules vraies révolutions sont à mon sens celles qui ont mis dehors le colonialisme. Pour avoir une seconde «révolution» en Tunisie, il faudrait reconduire le contrat avec Otpor et Freedom House, renouveler le pacte avec Al-Jazeera et trouver le bon général qui répondra à l’appel «nationaliste» de la CIA. Je m’attends plutôt à des manifestations qui vont inquiéter le président provisoire, le gouvernement temporaire et l’Assemblée constituante illégitime, mais pas au point de pousser tous ces usurpateurs à la démission. Une fois la tension baissée, chacun reviendra dans son coin et la régression du pays continuera jusqu’à la faillite totale de l’Etat et à l’éclatement de la société.
La découverte d’importantes caches d’armes en Tunisie appartenant aux islamistes vient contredire celui qui a toujours promis que «le scénario algérien des années 90 ne se reproduira jamais dans aucun pays». Les nouveaux événements de Djebel Chaâmbi et de Guoubellat sont-ils les signes avant-coureurs d’une recrudescence du terrorisme ?
Beaucoup pensent que le terrorisme disparaîtra avec la stabilité politique et les hypothétiques élections législatives et présidentielles, que l’ordre et la paix civile régneraient lorsque les Frères musulmans ne seront plus au pouvoir. C’est plutôt le contraire qui risque de se produire dans le cas où les islamistes seraient, par miracle, battus dans les prochaines élections. Dans tous les cas de figure, mes compatriotes vont devoir s’habituer, pour quelques années encore, au terrorisme et au crime organisé. C’est qu’il n’y a pas que le terrorisme islamiste qui menace le pays. Il y a aussi les centaines de criminels de droit commun que les usurpateurs du pouvoir ont amnistiés depuis le coup d’Etat du 14 janvier 2011. La révolution bouazizienne a libéré la parole mais aussi les plus bas instincts. Quant aux événements de Djebel Chaâmbi et Guoubellat, ils indiquent que le terrorisme va progressivement se déplacer des frontières et de la campagne vers les villes et les zones urbaines, là où il sera très difficile à éradiquer. Je pense, et je l’ai dit depuis près de deux ans, que le terrorisme va se métastaser et qu’il ne fera pas deux victimes par-ci et deux égorgés par-là, au sein des forces de l’ordre et de l’armée, mais qu’il va faire plusieurs dizaines de victimes parmi la population.
Vous avez effectivement averti, dans une précédente interview, que le terrorisme pourrait s’étendre aux grandes villes tunisiennes. Suite au renforcement de la coopération des deux armées tunisienne et algérienne contre le terrorisme, y a-t-il une éventualité que l’armée algérienne intervienne à l’intérieur des terres tunisiennes ?
Non, je ne le pense pas et je ne le souhaite pas. Ce qui a été raconté sur la participation de l’ANP lors des dernières opérations dans le Gouvernorat de Béja relève de la propagande islamiste, bien évidemment relayée par sa caisse de résonance, Al-Jazeera. Lorsque j’ai dit ici même que «sans l’armée algérienne, les égorgeurs seraient déjà à Hammamet et à Tunis», c’était en réaction à des déclarations insolentes et stupides de certains responsables ou «intellectuels» tunisiens qui accusaient l’armée algérienne de comploter contre la Tunisie. Cela ne m’étonne d’ailleurs pas de la part de ces mêmes individus qui, par solidarité frériste, accusaient autrefois les généraux algériens des abominations commises par le FIS et le GIA. La coopération tardive entre les armées algérienne et tunisienne se limite aux frontières et elle consiste à déloger les poches de terrorisme qui menacent la sécurité algérienne et qu’Ennahda a laissé s’installer avec la complicité des islamo-fascistes libyens et sous les instructions secrètes du Qatar.
Bien que des figures politiques aient exigé les mêmes revendications exprimées dans votre «appel en 7 points» du 13 juin 2012, rien ne semble indiquer une sortie de crise dans les prochains jours voire les prochains mois. Qu’est-ce qui empêche de briser ce carcan ?
Plusieurs facteurs endogènes et exogènes. L’armée tunisienne a été purgée de ses officiers républicains et nationalistes, et le ministère de l’Intérieur est à moitié phagocyté par des islamistes ou des mercenaires à leur solde. D’autre part, la nouvelle puissance tutélaire veille sur le «laboratoire du printemps arabe», comme un chimiste sur sa découverte antivirale, ou comme une mère sur son enfant. Il n’est pas question pour les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et le Qatar, que le scénario égyptien se reproduise en Tunisie. Les Frères musulmans tunisiens le savent et c’est pour cette raison que les exigences de l’opposition et les menaces de manifestations leur importent peu. La donne géopolitique au Proche-Orient a certes changé après le réveil nationaliste égyptien et la résistance héroïque syrienne, mais elle ne changera pas de sitôt dans le Maghreb. C’est du moins le défi que les stratèges du «printemps arabe» entendent relever. Mais ils se trompent. Malgré la surprise égyptienne, les Occidentaux n’ont toujours pas compris que le nationalisme arabe est psychologiquement et idéologiquement plus puissant et plus mobilisateur que l’islamisme sur lequel ils ont misé depuis bien des années. Si la Libye s’achemine inexorablement vers un processus à l’irakienne, en Tunisie, un miracle peut toujours se produire.
Une enquête d’opinion réalisée au mois d’août et menée par James Zogby, président de l’Arab American Institute révèle que le parti Ennahda reste le parti le plus crédible aux yeux des Tunisiens et que Hammadi Jebali aurait la confiance d’une personne sur deux. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que cette organisation américaine est insignifiante et que son enquête d’opinion menée sur un échantillon de 3 000 personnes ne vaut strictement rien. Je ne suis pas loin de penser qu’il s’agit d’une commande des amis de John McCain, le père spirituel de Hammadi Jebali et le théoricien néoconservateur des «Etats voyous» (Irak, Iran, Syrie, Libye, Venezuela, Cuba…) que les «forces du bien» doivent détruire. Cela ne veut évidemment pas dire qu’en cas d’élections, Ennahda serait battu. L’opposition progressiste, et principalement Nidaa Tounis, gagnerait à maintenir la vigilance et à conserver la cohérence à l’intérieur de ses rangs et de ses différentes composantes politiques. La bataille contre les islamistes et leurs béquilles du CPR, d’Ettakatol et probablement d’autres formations mineures et parasitaires n’est pas gagnée d’avance.
Il y a donc un espoir pour que la Tunisie retrouve la paix civile et renoue avec la croissance économique…
Oui, probablement, même si cela prendra quelques années, compte tenu des dégâts énormes commis en deux ans. Mais il y a deux choses que la Tunisie aura beaucoup de mal à retrouver : sa souveraineté et sa sociabilité. Ces deux précieux acquis que les Tunisiens doivent au génie bourguibien et à l’Etat-nation sont perdus pour très longtemps.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
Comment (16)