Le grand reflux diplomatique a été payé cash en la circonstance de Tiguentourine
Beaucoup fut dit et écrit sur les responsabilités autour de l’attaque contre le site de Tiguentourine. La Sonatrach essuya les foudres de nombre d’experts ad hoc au sujet des défaillances sécuritaires. Des interrogations fusèrent sur la vulnérabilité des frontières et sur le renseignement. Mais peu a été dit sur la responsabilité de la machine diplomatique en tant que première ligne de défense de la sécurité du pays. En vérité, si on en vint là, c’est que cette première ligne de défense ne fut pas en mesure d’éloigner en amont une montée des menaces dans notre voisinage visibles à l’œil nu. Lorsque le péril se matérialisa en prise d’otages, en une violation des frontières et d’une occupation d’un maillon stratégique des installations énergétiques nationales, l’appareil diplomatique se bunkérisa pendant et après l’évènement, comme il lui arriva de se distinguer au sujet de la Tunisie, de la Libye, du Mali, du Maroc, du Sahel… La machine diplomatique s’enraya encore une fois, tétanisée par la gravité, l’ampleur et le caractère sans précédent du danger. Le sens de l’initiative et de l’anticipation ayant déserté ce qui fut un haut lieu de projection diplomatique, on s’y confina dans l’immobilisme, attendant sans doute des instructions présidentielles pour faire les plus élémentaires des devoirs et déclencher les procédures usuelles de réaction et de gestion de crises. On remarqua que l’appareil diplomatique fut déclassé pendant la gestion de la crise, ne recevant que quelques bribes d’informations tandis que les ambassades concernées par leurs ressortissants en danger recevaient des informations en première main sur le déroulement des événements. L’appareil diplomatique fut ainsi collatéralement discrédité. Rappelons-nous que la communication diplomatique fut confiée au Premier ministre, tandis que les ministres de l’Intérieur et de la Communication montèrent au créneau, prenant sur eux-mêmes des risques sur le front diplomatique. Le ministère de la Défense nationale quant à lui, en l’absence de rempart diplomatique, dut sortir de sa réserve pour se défendre en exprimant avec fermeté et clarté une position… diplomatique. En outre, c’est le président français qui vint à la rescousse de la position algérienne, à Paris, puis devant le Parlement européen. Ces quelques constats n’eurent pas été faits si les protocoles usuels de gestion des crises avaient été déclenchés. On se devait en effet, suivant des pratiques perdues de vue, de prendre immédiatement la communauté internationale à témoin par une déclaration préliminaire. Sans préjuger du cours des opérations militaires en préparation, on se devait de prendre les devants en puisant dans l’arsenal de la doctrine internationale tous les arguments possibles sur le terrorisme et la prise d’otages, et développer (jusqu’à plus ample information) l’hypothèse du complot, tout comme les grandes puissances montent des dangers imminents (nucléaires, chimiques, terroristes, ressortissants en danger…) pour passer à l’action. C’eût été une manière d’occuper le terrain. On se devait de cristalliser dans une déclaration du ministre les responsabilités lointaines des uns et des autres et de faire savoir aux commanditaires de cette agression qu’ils s’exposaient à une riposte conséquente. On se devait de dénoncer une tentative de déstabilisation afin d’exonérer par avance l’Algérie de toute escalade éventuelle sur le terrain. Cette posture, si fragile fût-elle, eut été moins coûteuse que la réaction par le silence. On se devait de faire à chaud l’analyse en public des liens existant entre l’attaque sur Tiguentourine et les manœuvres de déstabilisation en cours dans le monde arabe et à présent dans le Sahel. Dans ce contexte où la fragilité des Etats se révèle au grand jour, c’eût été l’occasion pour l’Algérie de faire montre de sa détermination à se tenir debout et à riposter avec force contre toutes les formes d’agression fomentées par des apprentis sorciers de la politique internationale et leurs hordes de mercenaires pseudo islamistes. On se devait de clamer haut et fort que le pays n’entendait nullement se laisser intimider. Ce message eut été le minima auquel le peuple algérien était en droit de s’attendre. Mais en faisant profil à terre comme mode de gestion d’une crise gravissime qui provoqua l’indignation de l’opinion publique nationale obligée de subir les mauvais traitements infligés à notre pays, le flanc fut prêté à des campagnes médiatiques violentes. Indépendamment du déroulement des opérations sur le terrain, on se devait de saisir immédiatement le Conseil de sécurité, comme c’est la pratique, par une lettre à son président, à ses membres et au secrétaire général des Nations unies, sans compter les missives à des partenaires et aux amis africains. L’UA en particulier méritait cette considération eu égard à la solidarité de cette organisation et de ses membres envers l’Algérie sur le front de la lutte contre le terrorisme, contrairement à des pays amis qui développent des stratégies à détentes multiples tout en affichant des convergences de vues sur le terrorisme. On se devait de qualifier politiquement et juridiquement un acte dont la portée allait au-delà de l’acte terroriste. Du point de vue de la légalité internationale, il s’agissait bel et bien d’un acte de guerre. Il s’agissait bien d’une agression commise par des groupes de mercenaires armés venus dans la région avec l’appui d’acteurs étrangers, d’une atteinte à la souveraineté nationale et d’une prise d’otages. Tous ces éléments étant régis par la Charte des Nations unies, par la doctrine internationale sur le terrorisme et sur la prise d’otages, on se devait de prendre date et tenter d’obtenir des paroles de condamnation de manière à aussi se couvrir pour la suite des événements, surtout si l’on savait qu’une action militaire était en préparation. Il était important de se positionner sur le plan de la légalité internationale. Suivant des réflexes élémentaires, on se devait de faire acter l’agression auprès et par le Conseil de sécurité. On se devait de demander au président en exercice du Conseil de sécurité d’émettre une déclaration en son nom qui aurait pu être suivie d’une déclaration du Conseil de sécurité à la demande expresse et urgente de l’Algérie. Il eût fallu dans la foulée tester la solidarité maghrébine en demandant au Maroc, membre du Conseil de sécurité, de soutenir la demande algérienne (il se serait dérobé). On se devait de tester le niveau réel de solidarité des partenaires, des amis et des «frères», dans l’action, et non le faire a posteriori dans le confort d’un séminaire international. C’eut été l’occasion pour rebondir sur la scène régionale africaine, une terre où chacun conviendra que l’Algérie y a perdu pied, tant il est vrai que notre diplomatie s’était retirée de ce terrain pour ne s’y rendre qu’à l’occasion d’investitures ou pour accompagner le Président ou le Premier ministre aux sommets africains. Nulle visite bilatérale de haut niveau durant une décennie. D’ailleurs, l’Algérie ne s’impliqua plus dans la résolution des crises et des conflits en Afrique, et guère plus dans son voisinage immédiat sous prétexte de non-ingérence. Sauf que ce principe général n’est pas à confondre avec la passivité. A s’abriter derrière une fausse compréhension de ce principe général, on finit par se figer dans l’attentisme et par s’éloigner du devoir de solidarité en pensant se mettre ainsi à l’abri de la tectonique annoncée des déstabilisations. A ne pas vouloir aider nos voisins pour éteindre l’incendie qui sévissait chez eux, le brasier finit par nous atteindre. Notre propre expérience de lutte isolée contre le terrorisme nous incitait à développer une ligne de solidarité active pour donner de la cohérence au discours politique. On se doit de réaliser que l’attaque sur Tiguentourine fut peut-être le prélude à ce qui peut attendre l’Algérie au moindre faux pas dans le fil d’un agenda caché prêt à l’emploi. Il est possible que cette action fût menée pour tester les capacités de l’Algérie à réagir ou à endiguer une opération de déstabilisation de plus grande ampleur le moment venu. Cette attaque terroriste pulvérisa le discours diplomatique sur «les pays du champ» et mit à nu une impuissance à faire front aux menaces qui s’amoncelaient depuis quelque temps, encore moins à anticiper sur les dangers qui commençaient à cerner l’Algérie ou à les éloigner par des initiatives diplomatiques. Le grand reflux diplomatique a été payé cash en la circonstance de Tiguentourine. Dans l’optique du commanditaire potentiel de l’opération sur ce site, l’attaque lui aura permis de tirer au moins un enseignement : si la Défense algérienne a fortement amélioré sa capacité de réaction (il devra compter avec elle à l’avenir), la diplomatie algérienne, en revanche, se révéla un rempart inexistant. Cela, sans compter les positions algériennes qui se sont dangereusement effritées : sur le Sahara Occidental, l’Algérie a perdu l’initiative en se figeant dans une attitude qui lui a valu une effrayante cascade de retraits de reconnaissances. Cette érosion diplomatique n’est pas sans induire un problème sécuritaire critique, puisque tout problème de cette nature resté non résolu par l’instrument diplomatique reporte sa charge sur l’instrument militaire. En Afrique, elle fut réduite à assister en observateur à des réunions de la Cédéao, affectant la sécurité de ses propres frontières et sur la stabilité dans son voisinage le plus immédiat, et à la Ligue arabe, une si peu glorieuse maison, elle s’y fit maltraiter par le dernier venu sur la scène internationale. On peut légitimement s’interroger sur la consistance de la théorie dite des «pays du champ», ressassée à l’envi, ainsi que d’autres «vecteurs d’illusions» comme le Nepad et autres initiatives sur la bonne gouvernance en Afrique, dont le citoyen attend toujours l’effet de retour pour le pays. La théorie dite des «pays du champ» fut-elle de quelques apport ou bénéfice dans la gestion internationale de l’agression contre notre pays ? On pouvait s’attendre à un retour sur investissement (à grand frais) sur ces vecteurs multilatéraux ? La bonne gouvernance en Afrique est à l’ordre du jour en Algérie, aujourd’hui même. L’Algérie donne-t-elle l’exemple ? Peut-elle se vanter d’une quelconque exemplarité comme elle s’en prévalut des années durant ? Quel message de «bonne» gouvernance va-t-elle porter ? Quelle figure face à la communauté des nations ? Il fut un temps où les services de l’Algérie étaient recherchés pour des médiations internationales y compris pour la libération des otages. Mais voilà que nos propres diplomates sont pris en otages. A Gao, malgré l’imminence du danger, et alors qu’ils s’apprêtaient à quitter la ville, ils furent maintenus sur place. Dans les heures qui suivirent, ils ont été enlevés. Dans le danger, ils n’ont pas été protégés. Tout comme a été mollement protégé un haut responsable longtemps resté entre les griffes d’un petit juge d’outre-mer. En fait, notre diplomatie avait besoin de donner de la voix et d’un tant soit peu d’anticipation pour faire face aux défis et aux dangers qui ont fini par l’encercler. Ce ne fut pas faute pour une poignée de cadres de dire leur indignation et de sonner l’alarme, à maintes reprises, en vain. Les tenants du «tout était normal» imposaient leur ascendant politique, à l’image du discours ambiant suivant lequel tout va «normalement» dans notre pays. Seulement, gare aux effets dévastateurs de ce syndrome du «normal» alors que des menaces planent, que des dangers rôdent autour de l’Algérie. Ce «normal» là est indigeste pour nous. Il l’est aussi aux yeux des pays normaux. Le cas «Tiguentourine» fut le révélateur à ciel ouvert et le plus dramatique d’une situation d’ensemble que l’opinion publique, les professionnels et les observateurs vivaient comme une descente vers la déchéance. Que de fois l’Algérie a été maltraitée, agressée, y compris par ses voisins, sans qu’elle n’ait eu à redire.
Halim Benatalla
Ancien secrétaire d’Etat et ancien ambassadeur