Fantasmes
Par M. Aït Amara – Oui, messieurs les animateurs de la campagne du Président, vous avez entièrement raison. La visite de John Kerry démontre amplement la place qu’occupe l’Algérie dans le monde sous Bouteflika. Elle se situe exactement au niveau d’un secrétaire d’Etat. Si l’Algérie avait gagné une once d’importance dans le concert des nations, c’est Barack Obama qui aurait été attendu à l’aéroport d’Alger par son homologue algérien. Or, ni le Président de la première puissance mondiale n’a inscrit la destination algérienne sur ses tablettes, ni le président sortant n’est en mesure de se déplacer jusqu’à Dar El-Beida pour l’y accueillir. Messieurs de la campagne de Bouteflika, vos discours faits d’autosuffisance et de gloriole nous ramènent quarante bonnes années en arrière. A l’époque, si vous vous en souvenez, devant le guichet en contreplaqué lissé de la PAF, nous devions présenter le sursis militaire et l’autorisation de sortie avant le passeport. Nous étions alors renfermés sur nous-mêmes, avec comme seul vasistas, la RTA qui commençait ses programmes à 17 heures et les terminait à minuit. A travers cette petite ouverture, nous regardions ce que le régime de l’époque voulait bien nous montrer : une Algérie heureuse, comme est heureuse aujourd’hui la Corée du Nord. A cette époque-là, les hommes politiques qui étaient à votre place récitaient exactement le même refrain : nous sommes les meilleurs ! Puis, soudain, un octobre 1988, en regardant par l’interstice d’où le pouvoir laissait s’échapper une fausse lumière que nous confondions, borgnes que nous étions, à un rayon de soleil, nous vîmes des «gamins» qui «chahutaient» dans la rue, pendant qu’à la Télévision et à la Radio nationales, Rabah Driassa déclarait sa flamme à une infirmière tout de blanc habillée dans un hôpital hérité de l’ère coloniale, en savourant une pomme cueillie dans une CAPCS de la Révolution agraire. Vous nous rappelez ce bon vieux temps, messieurs, où nous discutaillions au bas de l’immeuble du quartier, adossés au mur – une belle vieille tradition qui persiste –, vantant les prouesses des quelques privilégiés qui auront réussi à passer le contrôle de la PAF et découvrir l’autre côté du mur, face à des Scandinaves comblées et heureuses de découvrir [nos] performances ; nous prenions alors notre désir pour une réalité, entre nos doigts. On nous racontait que, là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, [nous] faisions des ravages avec nos qualités supérieures au reste de l’humanité et que, derrière nos frontières est et ouest, vivotaient des peuples presque primitifs comparés à nos gigantesques avancées dans tous les domaines. Messieurs de la campagne de Bouteflika, nous avons longtemps souscrit à ces boniments que nous croyions passés de mode jusqu’à votre apparition. Alors, soyez remerciés de nous transporter quarante années en arrière dans votre machine à remonter le temps, même si cela vous empêche, malheureusement, de détourner votre regard du rétroviseur.
M. A.-A.
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