Pouvoir paranoïaque ?
Par Kamel Moulfi – Sur la lunette arrière de sa modeste voiture, un Algérien a écrit en gros caractères et en langue arabe : «Non au gaz de schiste !» Ce citoyen lambda a décidé de manifester son refus de cette énergie non conventionnelle à sa manière et de montrer de façon originale et bien visible sa prise de conscience face aux risques que comporte l’aventure, réelle ou supposée – lui pense qu’elle est réelle – de l’exploitation du gaz de schiste dans son pays. Il se mêle d’une chose qui le regarde directement. C’est normal. Mais si le ministre de l’Energie, Youcef Yousfi, venait à en faire la lecture, il dénoncerait une tentative de déstabilisation ou le traiterait d’ignorant. Seul lui et le pouvoir dont il fait partie savent où est l’intérêt national et peuvent en parler en toute connaissance. Le discours du ministre, en manque d’arguments valables dans un débat démocratique – qui n’existe pas d’ailleurs –, se résume à l’alternative simpliste mais toujours menaçante exprimée sous divers formes, selon le cas, ici, c’est l’infamie qui est jetée sur les opposants : «Si vous êtes contre l'exploitation du gaz de schiste, vous êtes (donc) contre l’intérêt du pays.» Il y a quelques mois, avant l’élection présidentielle du 17 avril, c’était l’alternative du pire : «Si vous ne votez pas pour le quatrième mandat, ce sera le chaos !» L’inventeur de cette méthode a été le FIS, dans ses campagnes électorales, au début des années 1990. A l'époque, souvenons-nous, c'était «soit vous votez pour nous, soit vous irez en enfer dans l'au-delà !» C’est un peu le discours du pouvoir actuellement : «Soit vous acceptez ce que nous faisons sans broncher, soit ce sera l'enfer sur terre !» Le pouvoir refuse le débat démocratique. Il présente les avis contraires comme des «tentatives de déstabilisation» ou au mieux d’ignorants. Seuls Youcef Yousfi et les ministres qui sont avec lui dans le gouvernement se préoccupent de l’intérêt national et sont «savants» en tout ce qui concerne l’avenir du pays. Tous les autres cherchent à déstabiliser ou parlent de choses qu’ils ignorent. On ne sait pas ce qui est réservé aux «déstabilisateurs», mais les pauvres ignorants ont droit au paternalisme le plus méprisant : «Les gens qui ignorent sont sincères, il faut leur expliquer. C'est ce que nous faisons aujourd'hui», dit le ministre. Au lieu de s’obstiner dans des ripostes pitoyables à des inquiétudes sérieuses, jusqu’à voir même dans l'opposition à l'exploitation du gaz de schiste une atteinte à la stabilité nationale, le pouvoir devrait accepter le débat démocratique à tous les niveaux et tenir compte des opinions contraires. Quelle contradiction ! Au moment où – Ahmed Ouyahia vient de le rappeler – le pouvoir affirme sa prétention à «constitutionnaliser» la place de l’opposition, Youcef Yousfi, lui, la diabolise en faisant appel aux vieux réflexes paranoïaques. Et, avec tout ça, le pouvoir ne comprend pas pourquoi il n'est pas crédible aux yeux de la société.
K. M.
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