La leçon du séisme d’Alger : où est le rapport de la Cour des comptes de 1983 ?
Le dernier séisme au niveau de la wilaya d’Alger interpelle les plus hautes autorités, qui doivent éviter la fuite en avant et repenser toute la politique de l’habitat que la Cour des comptes, dans un rapport de 1983 que j’ai eu l’honneur de diriger, avait déjà relevée il y a de cela plus de 30 ans. Mais a-t-elle été écoutée ?
Le dernier séisme au niveau de la wilaya d’Alger interpelle les plus hautes autorités, qui doivent éviter la fuite en avant et repenser toute la politique de l’habitat que la Cour des comptes, dans un rapport de 1983 que j’ai eu l’honneur de diriger, avait déjà relevée il y a de cela plus de 30 ans. Mais a-t-elle été écoutée ?
1-J’ai eu le privilège d’être un proche collaborateur entre 1980/1983 du docteur Amir, ex-SG de la présidence de la République sous feu le président Houari Boumediene et président de la Cour des comptes, en tant que directeur général des études économiques et premier conseiller, m'ayant adjoint par la suite le département des contrats. Constatant l’instrumentalisation politique de cette importante institution, j’ai démissionné avec l’arrivée de Messaoudi Zitouni fin 1983. Le docteur Amir, entre le dernier trimestre 1982 et le premier trimestre 1983, m’avait confié une importante mission diligentée en relation avec le cabinet de la présidence de la République, du ministre de l’Intérieur et de celui de l’Habitat de l’époque afin de diagnostiquer la situation de l’habitat à travers toutes ses dimensions (économique, sociale, culturelle) au niveau de tout le territoire national. J’ai sillonné pendant plusieurs mois avec mes collaborateurs, tous universitaires expérimentés de différentes disciplines, les 31 wilayas de l’époque et tenu des réunions marathon que j'ai présidé en présence de tous les walis et les directeurs d’exécutif concernés. Suite à ces réunions avec PV, des recommandations précises avaient été suggérées avec un rapport final de 4 volumes de plus de 600 pages.
2- Ce rapport opérationnel, loin de toute vision théorique abstraite, mettait en relief, il y a de cela plus de 30 ans, le danger de la spéculation foncière au niveau des grandes agglomérations et de l’extension des bidonvilles notamment à Alger, Oran, Constantine, Annaba avec des ceintures autour de ces grandes villes de poches importants de la sphère informelle. Une politique d’aménagement du territoire consciente avait été préconisée évitant cette urbanisation effrénée qui devait permettre d’éviter d’urbaniser les terres agricoles et au niveau des quartiers des tensions sociales à l’avenir ( groupes mafieux, trafic de drogue, prostitution), l’objectif stratégique étant un développement global harmonieux conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale, sans populisme, le taux d’emploi étant fonction de croissance au sein d’ un espace équilibré et solidaire unifiant l’ensemble du territoire. Dans ce cadre, Alger étouffant, le rapport préconisait de déplacer la capitale.
3- Il avait été mis en exergue d’abord l’urgence d’avoir un cadastre réactualisé (posant la problématique des titres de propriété), l’importance des constructions vétustes notamment des bâtiments de la colonisation qui nécessitaient soit la démolition, soit des investissements de rénovation des bâtiments et maisons (plus d’un million de logements vétustes qui ne répondaient pas aux normes).
4- Après des études techniques du coût du gros œuvre et du second œuvre (représentant souvent plus de 60% de la construction), variant selon les bâtiments, les maisons ou villas, il avait été préconisé l’utilisation de nouvelles méthodes de construction parasismiques, en évitant des bâtiments à 20 étages sans ascenseurs, notamment dans les Hauts-Plateaux et du Sud qui ne rentraient pas dans la culture de l’Algérien, ainsi que la mise en œuvre de nouveaux procédés qui économiseraient le rond à béton et l’énergie. La politique de l’habitait devait entrer dans le cadre d’une politique générale intersectorielle afin de dynamiser les entreprises tant à l’amont (ciment, rond à béton, verre, bois…) qu’à l’aval (protection de l’environnement, espaces verts, espaces sportifs, espaces de loisirs pour la jeunesse…), évitant les constructions sans âme.
5. Il avait été préconisé un recensement général analysant la cellule familiale, son origine avant l’implantation dans les grandes agglomérations, la répartition du revenu national, et la mise en place des méthodes de financement appropriées, notamment des crédits bonifiés ciblés qui profitent aux plus nécessiteux, ce que l’on appelle actuellement le logement social. En fait, il semble bien que l’ensemble des rapports amoncelés depuis des décennies, sans suivi, sans application, traduit le manque de crédibilité des institutions. Il faut corriger ce qui est nocif mais garder ce qui a été positif. Or, la mentalité bureaucratique rentière de certains responsables à l’image de Narcisse (c’est moi le plus beau, c’est moi le plus grand, c’est moi qui a toujours raison) est d’éviter tout dialogue productif, fondement de toute bonne gouvernance, et de vouloir tout recommencer à zéro. Malheureusement, il faut des catastrophes pour que des commissions en veille soient réactivées. Il faut aller sur le terrain pour voir ce qui se passe, l’Algérie ayant les meilleures lois du monde et d’innombrables commissions déconnectées des réalités se neutralisant selon les rapports de force. Cela traduit l’urgence de la construction d’un Etat moderne qui survive aux hommes éphémères dans leur action.
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, premier conseiller (magistrat)-directeur général des études économiques à la Cour des comptes (1980/1983)
ademmebtoul@g:mail.com