Fièvre aphteuse : pour une politique sanitaire de référence
Afin de démontrer l’importance accordée par les pays développés à la fièvre aphteuse et à ses conséquences désastreuses, aussi bien sur l’économie que sur les équilibres écologiques, il convient de citer des exemples qui ont marqué l’histoire de cette maladie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne avait envisagé d’utiliser entre autres le virus de la fièvre aphteuse comme arme biologique pour décimer l’économie de l’Allemagne d’Hitler, n’était-ce l’intervention de la SDN (Société des Nations) qui, elle, encourageait le principe de la prévention des guerres au travers du principe de la sécurité collective. En 2012, lors de l’apparition de la fièvre aphteuse en Egypte, Israël, pour se prémunir d’une éventuelle progression de l’épidémie vers ses territoires, et après avoir défini dans ses laboratoires le variant du virus en cause, a doté les vétérinaires de la bande de Ghaza de 20 000 doses de vaccin et de tout le matériel nécessaire pour accomplir une campagne de vaccination efficace. Le plus grand danger réside dans le fait qu’elle compromet inéluctablement les équilibres écologiques entre les animaux de rente (bovins, ovins, caprins, etc.) et ceux de la faune sauvage (sangliers, hérissons) sensibles au virus, qui intercommuniquent biologiquement, surtout par le biais de leurs effluents déposés soit par l’intermédiaire de l’homme soit par les animaux eux-mêmes dans les espaces communs de pâturage et d’abreuvement. Il est connu que parmi les animaux de rente, seuls les bovins expriment parfaitement les symptômes de la maladie, ils sont les révélateurs de la maladie. Le seuil de contamination par voie respiratoire d’un bovin est de 10 à 100 particules virales infectieuses. Le sanglier multiplie le virus et excrète jusqu’à 100 millions de virions par jour qui pourraient contaminer jusqu’à un million d’animaux. Il est le multiplicateur de la maladie. Par contre, les ovins et les caprins adultes expriment peu la maladie, mais l’introduisent insidieusement dans les territoires indemnes. Ils sont les transmetteurs de la maladie. Cela nous amène à dire qu’il serait très difficile et surtout coûteux de mettre en place aussi bien une politique et un dispositif sanitaire efficient pour l’éradication de la fièvre aphteuse chez les animaux de rente, qu’un plan efficace pour la maîtrise de celle-ci au sein de la faune sauvage qui constitue un véritable réservoir, en cas d’apparition d’une nouvelle épidémie. Si, jusqu’ici, la fièvre aphteuse se propage sur le territoire national uniquement, les inquiétudes qu’elle suscite dépassent bien les frontières du pays et vont même au-delà de la Méditerranée. Les organisations professionnelles d’agriculteurs en France sont les premières à s’alarmer de plus en plus de cette situation conjoncturelle entraînée par cette épidémie virale affectant les élevages. Ainsi, la Coordination rurale (CR), un des plus grands syndicats agricoles de France regroupant un nombre important d’éleveurs bovins, vient d’interpeller le ministre français de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, Stéphane le Foll, quant aux conséquences des mesures prises par le ministère algérien de l’Agriculture pour endiguer la propagation de la fièvre aphteuse dans le pays. En revanche, en Algérie, l’épidémie de la fièvre aphteuse a permis de dévoiler encore une fois non seulement des carences et des manquements en matière de prise en charge par les pouvoirs publics d’une urgence nationale, mais surtout un manque de prise de conscience collective à l’égard d’une catastrophe biologique qui menace la nation. Les pouvoirs publics algériens devaient prendre des mesures sanitaires drastiques en désignant une zone d’interdiction sur un segment de 3 km tout au long de la frontière et une zone d’observation sur un segment de 10 km en supposant qu’il y ait des cas juste à la frontière. Considérant les barrières physiques et géographiques existantes tout au long de la frontière, il ressort que la longueur à surveiller était minime. Dans cet espace d’interdiction, les pouvoirs publics devaient interdire tout déplacement d’animaux sensibles, recenser et identifier tout le cheptel, prendre des mesures conservatoires de confinement et/ou d’abattage préventif, selon les possibilités de maîtrise des mouvements animaliers, interdire l’épandage et le transport des fumiers et enfin organiser une campagne d’abattage régulière des sangliers dans la zone frontalière. Le pouvoir de police sanitaire devait être assuré par les différents services de sécurité, surtout que cela coïncide avec le déploiement sécuritaire conjoncturel que connaît la région, comme ce fut le cas en 2001 pour l’Irlande, qui a dépêché les forces armées sur ses frontières avec l’Angleterre touchée par la fièvre aphteuse. Dans l’espace d’observation, on opère de même ; c’est-à-dire recenser et identifier les animaux sensibles et prendre des mesures restrictives de déplacement des animaux qui, au besoin, doivent être munis de documents sanitaires délivrés par des vétérinaires dûment mandatés prouvant qu’ils ne sont pas touchés par la fièvre aphteuse, comme cela s’est fait au Maroc. Pour que toutes ces mesures soient respectées par les éleveurs et exécutées avec succès, il est impératif que l’Etat fasse preuve d’énormément de solidarité envers ces derniers en leur assurant surtout l’approvisionnement des aliments pour leur bétail à partir des zones saines. Après on procède à une campagne de vaccination, parcourant les espaces de l’est vers l’ouest, sans avoir recours à la demande extérieure d’urgence, sachant que l’épidémie a touché d’autres pays et que sur le marché mondial la demande est de plus en plus grandissante et que le risque de ne pas pouvoir s’approvisionner en cas d’épidémie est très prévisible. Ces mesures n’ayant pas été prises ou ont été appliquées avec légèreté, le premier cas a été officiellement déclaré à Sétif. En quelques jours, la maladie s’est répandue à travers plusieurs wilayas. Parmi les mesures d’urgence entreprises par les pouvoirs publics, on citera le déclenchement des enquêtes épidémiologiques, l’abattage d’urgence des animaux atteints et sensibles présents dans le foyer et l’indemnisation des éleveurs sinistrés. Là aussi beaucoup d’incohérences sont à signaler. L’absence d’identification des cheptels bovin et ovin a rendu caduque toute enquête épidémiologique nécessaire pour permettre la traçabilité de l’infection et celle des responsabilités aussi. L’opération d’abattage d’urgence des animaux malades et sensibles a concerné environ 5 500 bovins à travers le territoire national sans pour autant recourir systématiquement à l’abattage des ovins et caprins présents dans les exploitations touchées. Il a été recommandé seulement leur mise en quarantaine, sachant que ce sont des espèces sensibles à la maladie, qui l’expriment peu, mais qui constituent de véritables transporteurs. Pour ce qui est de l’abattage sanitaire des animaux atteints, il est à rappeler que seules les viandes maturées et désossées ne sont pas contaminées, car le virus de la fièvre aphteuse se concentre au niveau de la moelle osseuse en grand nombre. Le fait que les bouchers aient pris des carcasses entières, cela voudrait dire qu’ils ont contribué avec force dans la contamination de leurs locaux – devenus les lieux de rencontre des éleveurs, surtout que les marchés étaient fermés – et des décharges publiques, lieux très fréquentés par les sangliers. L’opacité et l’ambiguïté constatées dans les mesures prises en vue d’indemniser les sinistrés ont retardé l’adhésion des éleveurs, car il a été pris en considération des textes référentiels vétustes et anachroniques datant des années 1970, alors qu’il fallait mettre en place un nouveau décret et associer les offices interprofessionnels des différentes filières affectées afin de mettre en place un tableau référentiel des valeurs des animaux selon leur stade productif. Aujourd’hui que le ministre décide d’arrêter l’abattage qu’il qualifie de préventif, il est loisible de remarquer qu’il confond le concept de l’abattage sanitaire d’urgence qui a intéressé les 5 500 têtes bovines et celui de l’abattage préventif. L’abattage sanitaire intéresse les animaux atteints et sensibles présents dans un foyer déclaré atteint de fièvre aphteuse, par contre l’abattage préventif intéresse les animaux sensibles présents dans des exploitations à risque se situant dans la zone d’interdiction, comme ce fut le cas en Angleterre – avec qui le ministre aime bien faire la comparaison pour minimiser les dégâts subis – où il a été abattu 40 000 têtes bovines en 2001. L’Angleterre a le statut de pays officiellement indemne de fièvre aphteuse sans avoir recours à la vaccination de son cheptel et qui compte le conserver, car il lui permet d’être un pays exportateur de choix des animaux et des produits animaux. L’Office international des épidémies animales (OIE) octroie le statut sanitaire vis-à-vis de la fièvre aphteuse et on note l’existence de deux classifications. D’une part, les pays officiellement indemnes sans vaccination et les pays indemnes de fièvre aphteuse avec vaccination. Pour avoir ces statuts, il faudrait avoir une politique sanitaire qui permettrait de maîtriser et contrôler la maladie. Pour ce qui de l’Algérie, son statut est non reconnu par l’OIE, car les moyens de lutte et de maîtrise sont jugés insuffisants par cette organisation. L’identification du cheptel, le contrôle et la maîtrise des mouvements animaliers sont des préalables pour prévaloir avoir accès à ses statuts. Quand le ministre déclare avoir maîtrisé et contrôlé l’épidémie de la fièvre aphteuse, il ne peut s’appuyer sur aucune base scientifique, car l’art vétérinaire considère que la maîtrise et l’éradication de la fièvre aphteuse dans un pays ne sont possibles que si l’on considère son contrôle comme un bien public national, qui bénéficiera à toutes les populations et aux générations futures, sinon les populations rurales vivront éternellement dans la paupérisation et la précarité et qu’aucune perspective de développement de l’élevage et du secteur- agroalimentaire ne pourrait être envisagée. Cela étant, un processus long et onéreux qui repose sur la durabilité des ressources non seulement publiques, mais aussi privées émanent des producteurs, des acteurs du marché qui seront sans faille les contribuables dans un fond zoo sanitaire à instaurer, ajouter à cela les dons de la communauté internationale, des bailleurs de fonds qui regroupent les organisations et fondations donatrices.
Pour ce faire, les pouvoirs publics doivent impérativement cesser de voir l’agriculteur sous le spectre de la paysannerie et recourir à l’argent public pour conforter sa dépendance et commencer à promouvoir une politique lui donnant le rôle de partenaire professionnel privilégié vu l’urgence de sortir le pays de la dépendance alimentaire extérieure. Une bonne gouvernance vétérinaire est un préalable pour mettre en place et exécuter une politique sanitaire de référence. Il revient au ministre sous réserve de l’assentiment d’une autorité éthique et bioéthique – qui est l’ordre des vétérinaires- inexistant en Algérie malgré les efforts consentis par la corporation pour le mettre en place – et compte tenu des réserves qu’il lui adressera de produire une politique sanitaire fiable qui garantirait la qualité des investissements économiques dans le domaine animalier et agroalimentaire et puis de conduire des négociations sur ses questions avec les états et les organisations sanitaires internationales. L’ordre des vétérinaires prendra de fait une position de surintendance entre le politique et les services vétérinaires officiels qui, eux, représentent l’autorité administrative qui devrait être confortée dans l’accomplissement de ses missions, par une décentralisation des actions et des décisions au niveau local, car le vétérinaire est un actionnaire sans condition dans le domaine de la santé publique, de la santé animale et l’environnement.
Dr Mohamed Lakhal, vétérinaire praticien