Une contribution d’Akli Mellouli – Soyons dignes de l’esprit du 11 janvier 2015 !
L’esprit du 11 janvier se meurt. Quand, il y a une semaine, il n’y avait que des citoyens français, il y a aujourd’hui des musulmans, ou supposés tels, qui sont sommés par une partie de la classe politique de s’expliquer sur les attentats, de se justifier sur leur foi et parfois même de s’excuser de leur existence, alors que, comme l’a très bien dit le président de la République François Hollande, le 15 janvier dernier, à l’Institut du monde arabe : «Les musulmans sont les premières victimes du fanatisme.» Comment lui donner tort quand chaque jour voit le nombre de victimes augmenter en Irak, en Syrie, en Afghanistan ou au Nigéria, et l’islamophobie et la stigmatisation des populations musulmanes ne cesser de croître en Occident ? L’ampleur inquiétante du mouvement Pediga en Allemagne est là pour en attester. Cette situation révèle une vérité inconfortable : il est plus facile de marcher contre le fanatisme que de se retrouver autour d’un projet commun de vivre ensemble. Car cela suppose, non plus de marcher côte à côte, mais de se regarder dans les yeux, de se parler et de construire. Construire un futur commun pour que nos enfants puissent grandir sans être montrés du doigt parce que noirs, parce que basanés, parce que blancs, parce que juifs, parce que musulmans, parce que différents. Cela suppose d’oublier ses frustrations, ses préjugés, ses rancunes, et de se dire que ce qui nous rassemble est plus grand que ce qui nous divise. Cela suppose de prendre conscience que l’on a plus à perdre en stigmatisant l’autre qu’en lui tendant la main.
Le secret du changement consiste à ne pas concentrer toute son énergie pour lutter contre le passé, mais pour construire le futur
Au lendemain de la marche de dimanche, une partie de la gauche était prête à faire son autocritique et à revoir son logiciel. Aujourd’hui, les stigmatisés sont prêts à pardonner les offenses, le mépris, le «bruit et l’odeur», le «pain au chocolat» et à tendre la main. Au regard des enjeux, ils sont prêts à tourner la page pour en écrire une nouvelle avec les adversaires d’hier. Comme le disait Socrate : «Le secret du changement consiste à ne pas concentrer toute son énergie pour lutter contre le passé, mais pour construire le futur.» Si tout le monde faisait sienne cette maxime, de ces macabres attentats pourrait surgir une France unie, apaisée et plus forte. Cette tragédie peut devenir une chance si elle débouche sur une République qui posera le même regard respectueux sur l’ensemble de ses citoyens. Cette prise de conscience, la majorité des Français l’ont eue. Selon le dernier sondage CSA, réalisé après les attentats, 67% des Français pensent que «ce qui les rassemble est plus fort que ce qui les divise». Ce résultat est supérieur de 24 points à ce qu’avait mesuré le CSA en novembre 2013.
Comme si les barbares qui ont assassiné journalistes, policiers et civils étaient porteurs d’une quelconque civilisation.
Malheureusement, une partie de la classe politique n’est pas au niveau des enjeux et ne réalise pas l’occasion historique de donner un nouveau souffle à notre République, un nouvel élan qui ferait que tous les citoyens seraient solidaires les uns des autres, unis autour de valeurs humanistes. Une partie de la droite s’engage dans la surenchère avec le Front national. Cette course à l’échalote est indigne des événements qu’a connus notre pays. Je pense notamment à Nicolas Sarkozy qui, paraphrasant le discours de Samuel Huntington, parlait de «guerre de civilisation», comme si les barbares qui ont assassiné journalistes, policiers et civils étaient représentants d’une quelconque civilisation. Parallèlement, l’attitude de certains journalistes a été lamentable, dont la pire a sans doute été celle de Philippe Tesson, qui a affirmé mardi dernier sur les ondes d’Europe 1 que ce sont «les musulmans qui amènent la merde en France aujourd’hui !». Quelle irresponsabilité ! Quelqu’un qui se présente comme chroniqueur politique ne mesure-t-il pas les conséquences dramatiques que pourraient avoir de telles invectives dans une période si troublée ? Je salue, en mon nom et au nom de l’Espace franco-algérien, la décision de l’hebdomadaire Le Point de licencier ce pseudo-journaliste qui amène la haine de l’autre en France aujourd’hui. J’appelle surtout les responsables politiques, de gauche comme de droite, à faire leur autocritique et à être dignes de l’esprit du 11 janvier 2015. J’invite également les citoyens français à sortir de la vision binaire qui opposerait à «nous» un «eux», et à se définir uniquement en fonction des valeurs qui sont le ciment de notre République, au premier rang desquelles la laïcité, qui n’est pas le déni de la religion, mais bien le respect et la reconnaissance de toutes les religions sans en favoriser aucune. La laïcité, c’est la loi qui protège la foi tant que la foi ne fait pas la loi.
Akli Mellouli
Président de l’Espace franco-algérien