Exclusif – Yves Bonnet à Algeriepatriotique : «Les investigations du juge Trévidic sont ridicules» (I)

Yves Bonnet Moines de Tibhirine Le berger de Touggourt DST
Yves Bonnet, ancien patron de la DST. D. R.

Algeriepatriotique: Vous vous apprêtez à publier Le berger de Touggourtqui devrait paraître en Algérie en septembre prochain. Pourquoi ce titre ?

Yves Bonnet : Vous savez, il faut toujours trouver un titre à un ouvrage et je dirai qu’à la limite, ce qui est le plus difficile, ce n’est pas d’écrire un livre ; c’est d’en trouver le titre. Surtout que, généralement, le titre fait l’objet de divergences et de discussions entre l’éditeur et l’auteur. J’ai été amené, parfois, à renoncer sous la pression de l’éditeur à des titres que je trouvais bien – j’aime bien soigner l’appellation –, et chaque fois que je cédais, je m’en mordais les doigts. Pour ce livre, personne ne m’a demandé de céder et je reconnais très volontiers que l’éditeur était d’une parfaite compréhension et d’une grande courtoisie. Donc, je tiens au titre Le berger de Touggourt.
Pourquoi ?

Il y a toujours plusieurs degrés d’explication. Le premier, c’est cette petite histoire qui m’est arrivée. Il y a trois ans, quand nous sommes allés à Tibhirine, il neigeait beaucoup. Lorsque nous sommes arrivés à l’abbaye où nous avions du mal à entrer parce que la neige bloquait la porte, on a trouvé un brave garçon qui avait l’air embêté d’être là. J’ai discuté avec lui et il m’a dit qu’il venait de Touggourt. J’ai trouvé cela révélateur. Je ne crois pas au hasard. J’ai trouvé la chose très bien que ce garçon soit précisément là, dans cette abbaye, le jour où je venais la visiter. Le second degré, il se trouve que ce garçon est un berger. Or, les prêtres sont des bergers. Nous sommes le troupeau que ces bergers dirigent, plus ou moins bien. J’ai trouvé magnifique cette symbolique du berger qui complète admirablement ou scelle cette visite. Pour ces deux raisons, j’ai décidé, à ce moment-là, de titrer mon livre Le berger de Touggourt.

Votre livre sera édité en Algérie et présenté lors du prochain Salon international du livre d’Alger. Paraîtra-t-il simultanément en France ?

Il va paraître en France. Simultanément, je n’en sais rien, et cela pour une raison très simple : j’ai un éditeur en France, mais les éditeurs français sont souvent assez préoccupés par la programmation. Ils sortent des livres à des moments qu’ils choisissent, en fonction d’impératifs qui sont les leurs et cela dans le cadre de leur programmation. Cela m’étonnerait que l’éditeur français que je verrai, à mon retour, le sorte en même temps, mais cela n’a pas beaucoup d’importance. Si le livre paraît en Algérie, on verra ce qu’on fera pour sa promotion en France. Mais toujours est-il que du côté français, je ne maîtrise rien du tout.

Vous avez effectué un véritable travail d’investigation en vous rendant vous-même sur le lieu de l’assassinat des sept moines trappistes. A quoi vos recherches ont-elles abouti ? Que s’est-il passé à Tibhirine ?

Objectivement parlant, c’est un non-événement, dans la mesure où, effectivement et malheureusement, les moines sont morts de la façon qui a été décrite. Il y a une petite ambiguïté, d’ailleurs, que je signale dans mon livre et qui n’est pas vraiment résolue. Celle de savoir si vraiment ils ont été enlevés ou s’ils ont été appelés à venir dans le maquis, comme on l’a dit, pour soigner des blessés et si cela s’est transformé en rapt par la suite. Cela, je ne le sais pas. C’est une des ambiguïtés de la démarche. Finalement, cela n’a pas beaucoup d’importance dans le cadre du travail que j’ai effectué. Ce que j’ai constaté, c’est que les choses s’étaient déroulées, malheureusement, de la façon que l’on sait. Mon travail d’investigation tente de ramener les choses à leurs justes proportions et à dénoncer tout le tapage, toutes les allégations et les malveillances qui ont été propagées par la suite.

Et qui continuent…

Et qui continuent et vont probablement rebondir parce que le juge Trévidic, d’après ce que m’a dit Monseigneur Teissier, va rendre sa copie en septembre ou octobre prochains. Rendre sa copie et son tablier. Pas de chance pour le juge Trévidic, mais il va peut-être faire un coup d’éclat avec les «merveilleuses» personnes qui accompagnent sa démarche : M. Patrick Baudouin par exemple.

Le sort des moines de Tibhirine, bien qu’enlevés en Algérie, s’est joué en France. Quelle est la part de responsabilité des dirigeants français de l’époque dans ce drame ?

La part de responsabilité du gouvernement français est inégale selon les périodes. Dans un premier temps, le gouvernement français a eu une vraie responsabilité dans la mesure où, par la voix de M. Juppé, il a refusé de collaborer avec les autorités algériennes. Cet élément, je le tiens de source certaine, d’un de mes anciens collaborateurs qui a assisté, un jour, à une réunion, où il a entendu M. Juppé interdire toute collaboration avec les Algériens. Cela est indiscutable, parce que celui qui me l’a dit – je peux dire son nom, c’est Raymond Nart –, est quelqu’un de carré, franc et tout le monde le sait. Par chance, comme les gens des services – en tout cas en France, en Algérie, je n’en sais rien – désobéissent assez facilement aux ordres qui leur sont donnés, ils ont travaillé, nonobstant les interdictions du Premier ministre, avec leurs homologues algériens. Le contact a été établi par le colonel Souames, directement avec les services ou à la faveur des voyages qui pouvaient intervenir comme ceux, d’ailleurs, du général Smaïn Lamari (décédé en 2007, ndlr).

Le contact était toujours maintenu. J’ai vu les notes du général Rondot qui a été mis en cause dans l’affaire Clearstream. Rondot, comme tout militaire, a une maladie ; celle de tenir des carnets. Il me les a montrés, mais ne m’a pas permis d’en prendre une copie ; il m’a autorisé juste à les lire. Et, pratiquement tous les jours, il était en relation avec les services algériens. Il en rendait compte scrupuleusement à son directeur qui était à l’époque Philippe Parant, le père de l’ancien ambassadeur de France en Algérie. Donc, on a la preuve que les services français ont désobéi et qu’ils ont travaillé avec les services algériens. Cela est le premier stade. Lorsque, malheureusement, la tragédie est arrivée, les relations franco-algériennes ont pris un coup de froid, mais sans aucune répercussion du côté des services. La DST, il faut le dire, a toujours été absolument certaine et n’a jamais mis en cause la volonté des autorités algériennes de retrouver les moines. Et c’est le général Rondot – qui était colonel à l’époque – qui a affirmé que l’armée algérienne s’était sérieusement engagée dans des opérations de recherche des moines. Alors, mobiliser toute une armée et perdre des soldats dans les opérations de recherche pour retrouver sept moines n’est pas une petite contribution quand même. Par la suite, les autorités françaises ont cessé de soulever le problème. Par contre, un certain nombre de polémistes se sont déchaînés, pour deux raisons : vous savez que l’information est une marchandise. Une marchandise qui ne se vend que si elle est appétissante. Mais appétissante ne veut pas dire jolie. Cela veut dire attirante. En particulier, l’odeur de la charogne attire très facilement. Je cite cette phrase de Maurice Maeterlinck qui disait qu’en politique ou en matière d’information, l’homme est comme le chien, il n’aime que les mauvaises odeurs et son flair est infaillible.

Là, c’est pareil. L’information qui sent mauvais se vend très bien. Donc, un certain nombre de gens qui sont soit des journalistes soit des écrivains – je mets ces deux qualités entre guillemets –, cherchent à se faire de l’argent. C’est leur nourriture, si j’ose dire, comme les hyènes. Cela est indiscutable. Et c’est une première source de polémique. Ensuite, il y a eu le rôle joué par quelques parents des moines – et pas forcément très proches, d’ailleurs. Il s’agit plus exactement des familles de Paul et Christophe qui n’y sont pour rien. Ces parents se sont constitués partie civile, influencés par Maître Baudouin qui a voulu mettre en cause l’Etat algérien. J’ai mon interprétation sur cette affaire.

Pouvons-nous la connaître ?

Quand on s’intéresse à ce genre de choses, on peut avoir de nobles préoccupations, mais on peut avoir aussi celle d’en tirer de l’argent. Lorsque, comme dans cette affaire, il y a des victimes, on peut espérer des dédommagements. En l’occurrence, si on voulait en tirer de l’assassinat des moines, ce n’est pas vers le GIA qu’on doit se tourner. Le GIA est «insolvable» et, de toute façon, il a disparu. Par contre, l’Etat algérien est toujours là. L’Etat algérien peut payer. N’oubliez pas qu’à cet égard, il y a des gens qui ont cassé la tirelire, si je puis dire, à commencer par le colonel Kadhafi. Souvenez-vous des attentats de Lockerbie et du Ténéré. Ces deux attentats ont été imputés à tort à la Libye. Ce n’étaient pas les Libyens, mais les Iraniens, et cela tout le monde le sait. Kadhafi, par délire, par défi ou par provocation, a voulu régler cela à la libyenne. Régler les choses à la libyenne cela veut dire : «Vous voulez combien pour me foutre la paix ?». Il a négocié avec les Américains et donné dix millions de dollars par victime. Pour les Français, il a donné beaucoup moins ; un million de dollars, mais c’est quand même une somme conséquente. Kadhafi s’était dit que l’affaire était close. Sauf que, pour les Occidentaux, si vous payez c’est que vous êtes coupable. Alors que Kadhafi payait pour qu’on dise qu’il ne l’était pas. L’ambiguïté s’est alors installée et les familles ont touché leur argent. Dans l’affaire du Ténéré, des livres ont été écrits sur le sujet. Même le journaliste Pierre Péan a édité deux livres sur le sujet, archi-détaillés. Pierre Péan est n excellent journaliste d’investigation. Il est allé chercher partout et a trouvé toutes les preuves démontrant que ce n’était pas Kadhafi le coupable. Mais, malheureusement, ses livres passaient à la trappe parce que cela n’intéressait personne, et les familles ayant touché l’argent, on n’allait tout de même pas leur demander de le restituer à la Libye ! On ne peut pas exclure donc – et je n’affirme rien – qu’il n’y ait pas dans cette affaire des préoccupations mercantiles.

Est-ce la seule raison, selon vous ?

Non. Il y a aussi Patrick Baudouin. C’est un homme qui n’aime pas l’Algérie et la poursuit d’une haine féroce. Le scandale est toujours bienvenu pour lui. Ils (les comploteurs contre l’Algérie, ndlr) en sont arrivés à des démarches complètement stupides. Comme la dernière visite de M. Trévidic en Algérie. Il vient à Alger et prétend être accompagné par des experts en identité judiciaire, etc. Cela veut dire quoi ? Les expertises des têtes des moines ont été effectuées, les photographies aussi ; je les ai vues moi-même. Il n’y a ni trace ni impact, mais on ne peut pas les mettre dans un livre car c’est macabre. Néanmoins, toute personne qui voit ces photos sait très bien qu’il n’y a rien de tout cela. Et Trévidic qui affirme se rendre en Algérie pour examiner les têtes ! Qu’est-ce qu’il veut voir ? De toute façon, dans l’état où sont les crânes, je suppose qu’il n’y a pas grande chose à déceler. D’ailleurs, je ne sais pas s’il les a vus.

Trévidic a insinué que les scientifiques algériens seraient incompétents en matière d’analyses et d’identification par ADN…

Et les analyses ADN prouveraient quoi ? Elles pourraient prouver, à la limite, que ce ne sont pas les têtes des moines qu’on lui a présentées. J’ai vu les photos des têtes des moines. Je n’ai jamais vu les sept trappistes vivants, mais sur les photos ce sont eux, à moins qu’on ait trouvé sept sosies. Cela veut dire qu’il suspecte les Algériens d’avoir manipulé le dossier et de lui avoir montré des têtes de morts qui ne sont pas les sept moines. Comment voulez-vous que les Algériens acceptent une telle accusation absurde ? J’ai posé une simple question, cela fait longtemps : je demande en quoi un juge français peut être compétent ou mener des investigations sur un crime commis en Algérie, par des Algériens sur des Algériens. Les moines, en principe, étaient des Algériens ; en tout cas, l’Eglise catholique leur avait recommandé vivement de demander la nationalité algérienne. Par ailleurs, l’Eglise algérienne n’a jamais rien dit ni réclamé. Je ne suis pas sûr, mais je crois que Mgr Teissier a vu les têtes. Les investigations de Trévidic sont ridicules. De plus, une chose m’a choqué et j’ai dit cela à des magistrats et des avocats en France : il se trouve que, par hasard, nous sommes allés une amie et moi visiter la basilique Notre-Dame-d’Afrique, il y a un peu plus d’un mois et nous avons croisé un brave moine italien. Il ne savait pas qui on était. Il nous dit : «J’ai vu le juge Trévidic et Maître Baudouin !» Ils sont donc allés ensemble à Notre-Dame-d’Afrique. Cette connivence entre le juge d’instruction et l’avocat de la partie civile pose un vrai problème.

Interview réalisée par M. Aït Amara et Mohamed El-Ghazi

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