Le piège des mots : les milliers de Syriens fuyant leur pays sont-ils des «réfugiés» ou des «migrants» ?
Dans le drame que vivent les centaines de milliers de Syriens qui fuient leur pays pour rejoindre l’Europe de l’Ouest, il est des enjeux juridiques qui n’échappent pas aux dirigeants de ces pays d’accueil. Si les capitales occidentales ont «accepté» de recevoir sur le sol cette marée humaine par «pur humanisme», il n’en demeure pas moins qu’elles ont pris le temps de réfléchir aux conséquences de leur geste «magnanime». En réalité, les trois grands pays d’Europe, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, qui ont fini par ouvrir leurs frontières à ces familles qui ont risqué leur vie pour fuir les combats dans leur pays – ce qui revient au même puisque des centaines d’entre eux ont péri durant la périlleuse traversée –, cachent bien leur jeu qui consiste à retourner cette situation en leur faveur dans les années à venir. En effet, il est en train de s’opérer sous nos yeux, sans que cela paraisse clairement au milieu de ce désordre maîtrisé, une immigration sélective souhaitée par le Vieux Continent bien avant ces événements tragiques. Et c’est dans ce plan machiavélique que s’inscrit, justement, le choix des mots pour définir ces nouveaux arrivants. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) explique qu’avec les traversées par bateau de la Méditerranée «qui font les manchettes des journaux presque quotidiennement, il devient de plus en plus usuel de voir les termes «réfugié» et «migrant» être utilisés de façon interchangeable par les médias et le public». Il semble bien, néanmoins, que ces deux termes soient utilisés avec précision par les médias qui se réfèrent à des sources officielles et qu’ils sont, par la suite, repris machinalement par l’opinion publique. Or, relève le HCR, il existe une différence entre ces deux termes qui ont des significations distinctes. «En les utilisant à tort, on pose des problèmes à ces deux populations», note le HCR. Utiliser le mot «réfugié» donnerait accès à ces Syriens à l’aide des Etats et des organisations internationales. Ce mot «est défini dans la loi internationale et les réfugiés sont protégés par cette dernière», explique le HCR qui prend comme exemple la Convention de 1951 qui souligne les droits fondamentaux que les Etats doivent respecter, au premier rang desquels celui qui édicte que les réfugiés ne doivent pas être expulsés ou renvoyés à une situation où leur vie et leur liberté seraient menacées. Considérer les Syriens comme des réfugiés, risque, donc, de forcer les pays d’accueil à les garder sur leur sol et à leur assurer une aide obligatoire tant que la guerre civile n’aura pas cessé en Syrie et que leur vie y sera en danger. Par ailleurs, les réfugiés ont le droit d’accéder à des procédures d'asile et à des mesures visant à assurer que leurs droits fondamentaux sont respectés. Une lourde responsabilité pèse sur ces pays d’accueil qui en ont saisi la gravité et choisi d’attribuer à ces réfugiés le nom de «migrants», de sorte à pouvoir les gérer suivant leurs propres textes et processus en matière d'immigration, et non en vertu des lois internationales, car, dans ce cas d’espèce, ces pays auront des responsabilités précises envers les demandeurs d'asile sur leurs territoires et à leurs frontières. Or, ce n’est pas ce que vise l’Europe.
Karim Bouali