Exclusif – L’Algérien qui a sauvé des centaines de personnes au Bataclan se confie à Algeriepatriotique
Algeriepatriotique : Les médias français vous surnomment «le héros du Bataclan» suite au sauvetage de centaines de personnes présentes le jour de l’attentat du 13 novembre 2015. Racontez-nous ce qu’il s’est passé cette nuit-là…
«Didi» : J’étais devant le Bataclan, à l’entrée principale. A ce moment-là, sur ma droite, au niveau du café du Bataclan, j’ai vu les terroristes qui tiraient en direction du café dans lequel se trouvaient beaucoup de personnes. Les voyant venir dans ma direction, j’ai tout de suite compris qu’ils allaient pénétrer à l’intérieur du Bataclan où il y avait près de 1 500 spectateurs. J’ai couru vers l’intérieur pour donner l’alerte. J’ai orienté la foule vers les premières sorties de secours, mais j’ai vite compris qu’il fallait trouver d’autres issues. Il y en avait derrière les loges et les gens présents à l’intérieur de la salle de spectacle ne le savaient pas. Je me suis alors dirigé vers le côté des loges, mais les trois terroristes étaient déjà à l’intérieur et commençaient à tirer dans le tas, en évoquant Hollande et la Syrie. Je me suis retrouvé coincé, moi aussi, allongé sur le sol. J’ai sommé les gens qui étaient à côté de moi de rester plaqués au sol et de faire semblant d’être morts pour ne pas attirer l’attention des terroristes vers eux. Quand les terroristes se sont mis à recharger leurs armes, je me suis redressé, demandé à tous ceux qui étaient près de moi de se lever et de se diriger vite vers les sorties de secours. Nous avons pu sortir très rapidement. D’autres vagues de personnes nous ont suivis. Juste devant, il y avait un bâtiment. Je les ai fait entrer et suis ressorti dans la rue pour orienter les autres vers cet édifice, car beaucoup étaient désemparés. Nous sommes restés pratiquement deux heures à l’intérieur du bâtiment, avant que les secours arrivent.
Qu’est-ce qui vous est passé par la tête au moment de l’attaque ?
Comme vous pouvez le deviner, à ce moment-là, je n’avais pas le temps de réfléchir. Quand j’ai entendu les premiers tirs sur la terrasse du café, j’ai compris tout de suite qu’il s’agissait d’un attentat terroriste. Je suis rentré immédiatement. Heureusement que j’ai eu ce réflexe, car si j’avais pris un temps de réaction plus long, je serais mort. Mais j’ai réagi très vite et cela a permis de sauver la vie de beaucoup de personnes et de m’en sortir vivant moi-même, du même coup.
Avec le recul, comment expliquez-vous votre réaction ? Etait-ce l’instinct de survie ? De la témérité ? Du courage ?
C’est l’instinct. Comme je vous l’ai déjà dit, je n’ai pas réfléchi. Plus tard, les personnes que je connais, ma famille et même les membres des services de sécurité m’ont dit que j’étais fou ; ils m’ont dit qu’après être entré pour prévenir les spectateurs [de la présence d’un danger], j’aurais dû, par la suite, quitter les lieux au lieu de me diriger vers les loges pour ouvrir les accès. «Ce que tu as fait est suicidaire !» m’ont-ils tous dit. Il est vrai que je me suis mis en danger, mais sans réfléchir.
Est-ce votre sang chaud d’Algérien qui vous a fait réagir avec autant de bravoure ?
(Rire). Je suis Algérien et le sang chaud algérien coule dans mes veines, c’est tout à fait normal…
Pensez-vous que votre acte dissipera l’amalgame qui colle à tous les musulmans de France l’étiquette de «terroristes» ?
Ce serait bien que mon acte puisse servir à dissiper ces amalgames. Parce que beaucoup de Français, malheureusement, disent que les Algériens, ou plus généralement les Maghrébins et les musulmans, sont des terroristes. J’espère qu’après ce qui s’est passé au Bataclan, ils auront enfin compris que c’est bel et bien un Algérien musulman qui a aidé toutes ces personnes à sortir indemnes, au péril de sa vie, et qu’ils admettent que nous ne sommes pas des terroristes au motif que nous sommes musulmans.
Avez-vous la nationalité française ?
Non. J’ai toujours eu la carte de résident alors que toute ma famille a la double nationalité. Je m’apprêtais à entamer les démarches avant les attentats. Je suis arrivé en France à l’âge de six mois. J’ai grandi ici, j’ai fait mes études ici, aussi. Je ne ressentais pas le besoin d’obtenir la nationalité française. J’ai pensé à demander la nationalité française lorsque je me suis marié, il y a de cela quelques mois. Ma démarche est donc antérieure aux attentats du 13 novembre, contrairement à ce que j’ai entendu dire ici et là. Je suis fier du pays qui m’a vu naître, l’Algérie, et je suis aussi fier d’avoir grandi et évolué en France. Il n’a jamais été question de demander la nationalité après les attentats. Ce sont les médias qui ont mis cela en avant. D’ailleurs, quand je suis rentré d’Italie, j’ai appris l’existence d’une pétition qui a été lancée en ma faveur. Ma réponse fut : «Ah bon ?» Je n’étais même pas au courant !
Justement, c’est le Conseil représentatif des associations noires (Cran) qui a lancé cette pétition pour que Bathily et vous soyez honorés. Qu’en pensez-vous ?
Je ne connaissais pas le Cran et je n’étais pas au courant de cette pétition. Pour tout vous dire, ce qui m’a vraiment fait plaisir dans cette affaire, ce sont les commentaires qui ont été postés me concernant. Ces commentaires, qui m’ont beaucoup touché, émanent des gens que j’ai sauvés et qui ont réussi à me retrouver. Cela m’a fait chaud au cœur.
Ce que vous avez fait a rendu les Algériens fiers de vous…
Cela me fait très plaisir. Il faut montrer une belle image de nous autres Algériens et de notre pays.
Ni vous ni Lassana Bathily n’avez été décorés de la Légion d’honneur le 1er janvier dernier. Pourtant, les militaires américains du Thalys ont été honorés une semaine à peine après la tentative d’attentat avortée…
Je suis d’accord avec vous, mais pour Bathily uniquement, parce qu’en ce qui me concerne, l’histoire est récente. Les nominations de ce 1er janvier concernaient les attentats de Charlie Hebdo et le Thalys uniquement. Je ne sais pas pourquoi Bathily n’y figurait pas.
Votre vie a-t-elle basculé après le 13 novembre ?
Effectivement. Des images dures et atroces restent gravées dans ma mémoire. J’essaie de me reconstruire tout doucement, entouré de ma famille.
Vivez-vous sous protection policière ?
Non. Je n’ai pas besoin de protection. J’ai, d’ailleurs, choisi de flouter toutes mes photos. C’est un choix. Je verrai [quelle attitude adopter] plus tard…
Propos recueillis par Houneïda Acil