Une contribution de l’ex-cadre du RCD Rabah Boucetta – Pourquoi Saïd Sadi se vend au Maroc
Etrangement, beaucoup de voix s’élèvent, ici et ailleurs, pour demander la réouverture de la frontière algéro-marocaine. Dans les pays où la démocratie est ancrée socialement, une décision de ce type ne peut être que l’aboutissement d’un débat public des états-majors des partis qui s’en réclament. En revanche, en Algérie et chez nos voisins marocains, les décisions sont souvent le résultat de manœuvres de lobbies tapis dans l’ombre qui instrumentalisent des marionnettes pour créer de l’animation sur la scène politique. Alors, qui sont ces nouveaux ambassadeurs de la construction nord-africaine ?
La sortie inédite et surprenante du secrétaire général du FLN au sujet de la question sahraouie, sur la chaîne de télévision Ennahar, avait choqué plus d’un. En effet, Amar Saïdani, dans la foulée de son révisionnisme tous azimuts, s’est démarqué de la position officielle de l’Algérie relative au conflit sahraoui. Cette dérive a contraint le président de la République à recevoir Mohamed Abdelaziz, président du Front Polisario, et à lui réitérer l’engagement immuable de notre pays. Quelques jours plus tard, c’est au tour du RCD d’appeler, depuis le Maroc, à la «réouverture» des frontières algéro-marocaines à l’occasion du congrès du Parti authenticité et modernité (PAM) auquel il était convié.
Afin de mieux comprendre la récente diatribe de Si Amar et les fanfaronnades du RCD, il est important de connaître les acteurs mis en avant pour prêcher la bonne parole.
Il y’a d’abord Fouad Ali El-Himma, qui, chez le citoyen lambda au Maroc, est l’incarnation suprême du Makhzen, et un proche du roi Mohammed VI. Officiellement, la création du Parti authenticité et modernité (PAM) avait pour objectif de redynamiser la vie politique marocaine et de se poser comme alternative à la montée en puissance du PJD de l’actuel chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane. Lors des manifestations initiées par le mouvement du 20-Février, le fondateur du PAM et conseillé du roi, est décrié par la foule : «El-Himma dégage !» Celui-ci finit par se retirer de la façade du parti, tout en continuant, néanmoins, à faire main basse sur la structure.
Invité par le PAM à prendre la parole, lors de son congrès tenu à Bouznika, au Maroc, du 22 au 24 janvier 2016, le chef du RCD, profitant de la légitimité de la revendication, a défendu le principe de la réouverture des frontières en avançant des arguments en trompe-l’œil. «Notre proximité avec l'Europe, qui constitue désormais une entité régionale forte avec laquelle nous partageons une longue histoire, nous pousse à la construction d'un ensemble nord-africain, seul à même d'impulser la synergie nécessaire qui nous permettra d'occuper une place en phase avec notre temps», a déclaré le président du RCD dans son discours prononcé à l'ouverture du congrès.
Mais la question que l’on ne peut s’empêcher de se poser est de savoir pourquoi le RCD était le seul parti politique algérien à être invité au congrès de la formation politique la plus proche du roi.
La réponse est chez les mentors de ces deux formations politiques : Ali El-Himma et Saïd Sadi en l’occurrence. Ces deux personnages ont, en commun, l’amitié de Bernard-Henri Lévy. Un lobbyiste favorable à l’initiation de ces deux hommes politiques dans les loges les plus influentes sur le destin régional.
Un autre évènement capte l’intérêt des observateurs. Il s’agit de l’alliance conclue entre Saïd Sadi et le collectif des animateurs du Manifeste kabyle, un groupuscule d’inspiration autonomiste. A travers son appel intitulé «L’Algérie de demain ou l’indispensable changement constitutionnel», Saïd Sadi lance deux messages : le premier s’adresse au pouvoir algérien, et consiste à dire que seul lui, Saïd Sadi en l’occurrence, peut constituer un rempart pour l’unité nationale et freiner, ainsi, la déferlante auto-déterministe menée par le MAK qui attire de plus en plus de jeunes Algériens en Kabylie. Il normaliserait, de la sorte, une région connue pour son hostilité endémique au pouvoir. Le deuxième message est destiné aux Marocains qui, eux, sont inscrits dans une logique de «large autonomie du Sahara», le même statut que revendiquent, en fait, les Amis du manifeste kabyle pour la Kabylie ! Coïncidence ? Surtout pas en politique. L’objectif est de court-circuiter Ferhat Mehenni et de saboter la reconnaissance tacite du MAK par le palais royal, qui s’est exprimé à travers l’intervention de l’ambassadeur marocain à l’ONU en faveur des autonomistes kabyles, tout en donnant un souffle à l’initiative marocaine en élargissant ce statut d’autonomie aux autres régions de l’Afrique du Nord. Et c’est dans ce contexte qu’il faut rappeler les récentes déclarations d’Amar Saïdani sur ce dossier, et l’alliance qui est en train de se concocter entre le FLN et le RCD, que vient de dénoncer Nordine Aït Hamouda. Sauf que Saïd Sadi oublie toujours une chose fondamentale : la marche des peuples vers la liberté. Ses manœuvres ne pourront ni venir à bout de la volonté du Polisario, ni convaincre les décideurs algériens qu’il pourrait être un élément indispensable en Kabylie. Il est aussi utile de signaler que le timing n’est pas choisi au hasard. Les déclarations de Saïd Sadi et de son parti interviennent à la veille de la tournée du secrétaire général des Nations unies, prévue pour ce mois de mars, au Sahara Occidental. Une visite qui est marquée par une demande accrue de l’élargissement des prérogatives de la Minurso aux droits de l’Homme, sachant que de plus en plus de pays s’inscrivent pour l’adoption de cette résolution.
On remarque aussi que l’agitation des zélateurs de la politique s’est accentuée au moment où la communauté internationale n’a pas reculé face à l’opposition marocaine affichée contre la nomination de Christopher Ross, comme envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU au Sahara Occidental. Surfer sur une question aussi sensible, en ce moment de grande turbulence dans la région, est un engagement qui ne peut que s’inscrire dans la logique des planificateurs du projet du «Grand Moyen-Orient». Un projet dicté par l’empire américano-sioniste, piloté par le richissime émirat gazier, le Qatar, et soutenu par l’Arabie Saoudite qui assure la diffusion d’un islam rétrograde et la promotion de l’image de marque du «fréquentable islamiste» Recep Tayyip Erdogan comme modèle de l’homme providentiel tant attendu par les peuples du MENA. Ce soutien actif au royaume chérifien est, en réalité, un combat d’arrière-garde, puisque le processus de paix dans les territoires occupés est irréversible.
La réouverture de la frontière algéro-marocaine interviendra quand les raisons objectives de sa fermeture seront examinées par les deux Etats. Car, s’agissant de la diplomatie, c’est la seule constante qui distingue et honore l’Etat algérien dans le monde. Souvenons-nous de la médiation extraordinaire de l’Algérie pour le dénouement de la crise iranienne des otages ou encore du rôle joué par notre pays dans le règlement de la crise malienne, et du principe de non-ingérence dans les affaires internes des pays. La diplomatie algérienne enregistre des percées louables qui sont saluées par la communauté internationale. Saïd Sadi est pourtant bien placé pour comprendre ces exploits, lui qui, lors des débats sur l’exclusion d’un cadre du RCD accusé, à tort, «d’intelligence avec l’ennemi», avait déclaré lors du Conseil national du 4 juin 2010 : «Il m’arrive souvent de me trouver à l’étranger et d’appeler aux Affaires étrangères de mon pays pour connaître la position officielle avant de m’engager sur quoi que ce soit». En réalité, dans tous les pays démocratiques, les personnalités politiques inscrites dans le jeu institutionnel ne s’éloignent guère des positions officielles de leur pays, quel que soit l’enjeu politique au niveau national. Aux Etats-Unis, Démocrates et Républicains affichent l’unité dès lors que la menace est ressentie chez eux. Les attentats de Paris du 13 novembre 2015 ont été l’occasion de voir une France unie et debout, alors qu’elle était à la veille d’une échéance électorale importante. Certes, la pluralité est un acquis de la démocratie, seulement, il faut aussi savoir distinguer l’essentiel de l’accessoire.
Rabah Boucetta