Arrivée massive du gaz de schiste américain en Europe : le gaz algérien rudement concurrencé
L’Algérie aura beaucoup de mal dans les années à venir à exporter son gaz naturel vers l’Europe, qui constitue son principal marché. La raison est que le gaz de schiste américain, en surproduction, arrive ces derniers mois en grandes quantités sur le marché du Vieux Continent. Selon une étude réalisée par le professeur émérite à l’Université Paris-Dauphine, Jean-Marie Chevalier, pour le compte du Cercle des économistes, l’Europe vient de recevoir sa toute première livraison de gaz de schiste américain. «Elle a été effectuée pour le compte de la société suisse Inéos et apparaît comme une révolution dans le secteur de l’énergie sur le Vieux Continent», a relevé ce grand spécialiste du marché mondial énergétique, précisant que «les premières livraisons d’éthane sont arrivées en Europe en 2015, donnant à la pétrochimie européenne une matière première abondante et bon marché». Ce membre du Cercle des économistes, un acteur reconnu du monde économique, a affirmé que les prochaines livraisons de méthane (le gaz naturel) sont attendues en 2016-2017, notamment au Royaume-Uni et en France.
Contrats à long terme
«En France, Engie a signé un contrat avec Cheniere Energy pour 12 livraisons par an, pendant 5 ans, qui seront faites au terminal de Montoir-de-Bretagne. EDF a, de son côté, un contrat de 20 ans avec la même entreprise pour des livraisons au terminal de Dunkerque», a-t-il ajouté. Il y a donc suffisamment de faits pour considérer que ces livraisons américaines vont mettre les fournisseurs traditionnels de l’Europe en gaz naturel en position de faible pour mieux négocier le prix. Bien qu’attendu, le développement du gaz et du pétrole de schiste aux Etats-Unis ait complètement bouleversé la situation énergétique américaine, voire même mondiale. «D’une situation de dépendance énergétique croissante et préoccupante, ils sont arrivés à être en position d’exportateur net de gaz et de pétrole», a souligné Chevalier pour qui les conséquences de ce changement de situation vont être terribles pour les exportateurs traditionnels de gaz naturel, à l’instar de la Norvège, la Russie et l’Algérie.
Faible coût
Ce qui est encore plus inquiétant est que le coût de revient du gaz de schiste américain reste très faible, ce qui le rend très compétitif. «Ceci devrait avoir pour effet de renforcer les pressions à la baisse sur les prix du gaz à l’importation et, donc, sur les prix aux consommateurs. Ce nouveau flux gazier renforce l’interconnexion des marchés gaziers internationaux entre le marché américain qui peut à la fois approvisionner les marchés européens et les marchés asiatiques. L’avantage américain est fondé sur le faible coût de son gaz de schiste», a insisté Chevalier. Ainsi, le gaz de schiste américain arrive donc en Europe alors que, il y a moins de 10 ans, on pensait que les Etats-Unis pourraient importer du gaz russe. La question majeure que se pose Jean-Marie Chevalier, c’est de savoir si cette tendance est durable : elle dépend du coût (et duprix) du gaz américain, et aussi des contraintes environnementales qui pourraient éventuellement limiter son expansion. Mais pour lui, la machine semble mise en marche de sorte à ce que rien ne pourrait l’arrêter. «On pensait qu’un prix du pétrole à 30 dollars le baril allait limiter la croissance du gaz de schiste. Il n’en a rien été car une bonne partie des très nombreux producteurs américains (plusieurs centaines) ont réussi à baisser leurs coûts et à augmenter leur productivité», a-t-il argué. Avec les nouvellestechniques d’extraction, le gaz schiste pourrait donc dominer le marché mondial de l’énergie. Quelle stratégie pourrait adopter l’Algérie face à cette nouvelle donne mondiale ?
Le schiste algérien
Disposant des troisièmes réserves mondiales du gaz de schiste, l’Algérie a tenté d’aller vers l’extraction de ce gaz dont les techniques représentent un grand risque pour l’environnement. Le refus téméraire des populations vivant aux alentours des champs d’exploration a poussé le gouvernement à geler cette activité. L’Algérie va-t-elle relancer l’exploitation du gaz de schiste ? Une chose est sûre : le gaz naturel ne pourrait plus constituer une source génératrice de sommes importantes en devises. Selon certains spécialistes algériens, il suffirait à peine pour satisfaire les besoins du marché intérieur exponentiel à l’horizon de 2030.
Sonia Baker