La commune, l’Etat, la société et la cité
La commune algérienne a connu son premier statut en 1967, établi pour assurer l’orientation socialiste en tant que système, et devient planificatrice en tant qu’outil principal de gestion. La place et le rôle, mais aussi les missions principales de la commune, varient selon l’évolution et les mutations qu’a connues le pays de 1962 à ce jour. Le deuxième changement du statut communal s’est effectué en 1990, situation oblige, pour mieux s’adapter, mais aussi s’insérer dans le nouveau cadre institutionnel (naissance du multipartisme) et avec l’introduction de la loi n° 88-01portant loi d’orientation sur les EPE et la loi 88-02 relative à l'autonomie et à la gestion des entreprises publiques, «réformes, libéralisation, privatisation en Algérie», qui balisera sous les recommandations forcées du FMI et la Banque Mondiale le terrain pour un nouveau système d’économie de marché extravertie. Une nouvelle loi (n°11-10 du 22 juin 2011) relative à la commune a été mise à jour ; le rôle, la place et les missions de la commune en tant qu’entité administrative et politique locale sont liés aux mutations et par conséquent aux réformes qu’a subies le pays. La commune représente par principe une collectivité locale décentralisée, qui devrait se ménager et surtout préserver des espaces d’autonomie sur la base de critères identitaires locaux (historique-territorial-tribal-partisan-culturel -économique-social…). La commune (entité administrative) représente aussi une petite division de l’Etat. Elle a pour rôle d’obéir et surtout d’appliquer les lois républicaines, mais aussi de participer administrativement à tout contrôle de l’Etat central, de même, la commune ou plus particulièrement la collectivité locale possède cette liberté d’action, mais aussi de choix de ses moyens et surtout des opportunités pour l’amélioration des services publics, la réalisation d’un programme de développement intégré local, l’aménagement du cadre de vie… Suite à l’instauration du multipartisme, la loi n° 90-01 est modifiée par la loi 11-10, cette dernière donne plus d’ambiguïté au pouvoir local (mal quadrillé entre décentralisation et déconcentration) et de prérogatives de gestion (mal administrées), non balisées, au profit de l’administration locale sur le plan de la gestion des moyens communaux, de l’organisation et de la finalité de la structure de base. La finalité (évaluation du cadre de vie de la cité et de la qualité des services publics) de l’activité communale se constate par le commun des mortels dans une dégradation généralisée du cadre de vie, de la chute de l’ordre et de la discipline de la société civile. Cette dernière crée manifestement des vides qui sont remplis par les activités néfastes, illégales, illicites et immorales, une déperdition de la discipline du travail, de l’entraide et de la solidarité humaine et de l’environnement direct du citoyen dans son milieu urbain que ce soit dans l’urbanisme (anarchie totale, détournements, business, vols, expropriations, «tag ala man tag»), sur le plan de circulation ( absence de plan de circulation et de contrôle continu), la voirie (absence de coordination interservices), les prestations de services administratifs (files d’attente), l’éclairage public mal entretenu (dégradations très avancées), l’hygiène et la santé publique (apparition de nouvelles maladies), programmes de développement (absence de contrôle et de suivi selon les normes, enfin, l’opinion générale du citoyen est défavorable envers les élus d’une manière générale et des autorités administratives locales et régionales (absence totale de confiance). La crédibilité de la commune en tant qu’administration régentée par des représentants de la population et gérée par des fonctionnaires frelatés se trouve en perte de vitesse devant des actions populistes, drab enah !»(fait semblant), sur les anomalies et les infractions de toute nature, passe-droits, piston, clientélisme, laissé faire, dégradation… La commune (collectivité décentralisée) devrait assurer et veiller en principe au bon fonctionnement des activités déconcentrées de l’Etat d’une part, et d’autre part, faire face aux divers besoins de la population communale (bonne gouvernance-cadre de vie- service public-plan de développement-régulation-ordre et discipline dans la cité-respect des règles de la cité…).
«L'individu s'oppose à la collectivité, mais il s'en nourrit.» André Malraux : 1901-1979 – Le temps du mépris.
L’ambivalence et la confusion qui caractérise le concept d’administration est peut-être la cause principale de cette perte de crédibilité dans l’exercice de la puissance publique, mais aussi dans la gestion des services communaux tels que définis par les dispositions du décret exécutif n°91-26 du 02 février 1991 portant statut particulier des travailleurs appartenant au secteur des communes. Cette organisation qui se fait et s’appuie sur deux principes fondamentaux de la «décentralisation» et la «déconcentration» ne permet pas de distinguer à bien les outils nécessaires de l’Etat central et ceux de l’administration locale. La loi 11-10 reste insuffisante dans le domaine de l’organisation de la commune (le wali contrôle préalablement l’élaboration de l’organigramme), tant que les gestionnaires de la commune n’ont pas à leur disposition les instruments juridiques adéquats qui pourraient faciliter la tâche, à savoir la sanction, la surveillance, l’évaluation et le contrôle des tâches, des missions et des actions tels qu’ils sont définis dans les dispositions du décret exécutif n°91-26 sus-cité. La coordination entre les structures fonctionnelles (finances, moyens matériels et humains) et les structures opérationnelles (hygiène, environnement, urbanisme, social, culturel…) ne permet pas une bonne organisation de chaque fonction de ce service public, l’exemple le plus frappant portant sur des projets de développement non matures et non conformes au cahier des charges est au niveau de la commune de Beni Saf. Le partage des responsabilités, les circuits de liaison et d’échange et leur synergie non opérationnelle à l’intérieur de l’administration communale, ajouté aux manques de la définition et identification des tâches et de missions de chaque agent administratif et ce, conformément aux dispositions du décret exécutif n°91-26 sus-cité. L’activité économique de l’entité communale n’apparaît pas dans ces fonctions contenues dans l’organigramme. La commune n’intervient plus directement dans cette sphère, les investissements, la création de l’emploi, la croissance économique et les rentrées fiscales qui en découlent. Le laisser-aller concernant les revenus issus de son patrimoine productif n’a jamais fait l’objet d’une opération d’identification et de valorisation de son patrimoine immobilier. Ce patrimoine pour ce qui est de la commune de Beni Saf est généralement constitué de centaines de locaux commerciaux, marchés hebdomadaires, abattoir, salle de spectacle, cinéma, cafétérias, hôtel, parkings, parcs et jardins de loisirs, jusqu’aux crèches pour enfants. La cafétéria située au cœur de la ville reste fermée à ce jour.
La politique d’austérité qui pointe nécessite certainement et forcément une rationalisation des dépenses, et devrait rimer avec des approches efficaces visant à aller chercher de l’argent là où il se trouve. Par ailleurs, la réglementation exige un sommier de consistance achevé et bien défini. Cela passe par le recensement, l’inventaire physique et comptable et la localisation des biens nombreux de la collectivité. Il est vrai que la tenue du sommier de consistance et du registre d’inventaire revêt un caractère obligatoire, constatant, à cet effet, que beaucoup de ceux qui occupent des biens communaux n’honorent pas leurs loyers et le manque du suivi favorise ce laxisme, et ne permet guère à la commune de connaître son véritable patrimoine, du moins le plus productif. La commune de Beni Saf est incapable de connaître et de constituer à ce jour son bilan, ce bilan est constitué en général par :
1- les investissements productifs et improductifs ;
2- les stocks ;
3- les créances ;
4- les dettes.
La commune ne fait que gérer un budget de fonctionnement et d’équipement via des recettes et dépenses. Sont considérés comme biens communaux, les biens immeubles non encore affectés, acquis ou réalisés par la commune sur ses fonds propres, les immeubles et locaux à usage professionnel, commercial ou artisanal dont la propriété a été transférée à la commune (locaux commerciaux du Président), les logements d’astreinte et/ou de fonction dont la propriété appartient à la commune, les biens déclassés du domaine public de la commune se trouvent squattés par des particuliers, les biens provenant du domaine privé de l’Etat ou de la wilaya, cédés ou dévolus en toute propriété à la commune (hangars locaux des ex-galeries algériennes…). A la faveur de l'économisme qui phagocyte la pensée politique contemporaine, le droit de propriété est réputé intouchable, car on le suppose garant de la prospérité générale. Il a pourtant engendré d'énormes concentrations de richesse qui portent atteinte aux libertés démocratiques. De telles concentrations octroient à ceux qui les contrôlent un exorbitant pouvoir local. En outre, elles permettent à une minorité (lobby) d'orienter l'activité économique au mieux de ses intérêts particuliers, en feignant de croire qu'ils s'identifient à l'intérêt général. L’optimisation organisationnelle et fonctionnelle de service public, quelle que soit sa nature, dépend de l’efficacité, du rôle de chaque structure (partage des responsabilités précis et clair), des circuits d’échanges interservices de l’administration communale et une définition et identification claire et précise des tâches de chaque agent de l’entité communale. Du côté réglementaire, selon les dispositions du décret 91-26, les tâches ne sont pas clairement définies, la coordination, l’animation des structures de l’administration sont insuffisantes. Il est de même que les attributions du secrétaire général et du président de l’APC sont identiques, les compétences sont partagées, mais non reparties convenablement selon l’organigramme pour mieux définir le rôle de chacun :
– gestion et organisation de l’administration communale ;
– exécution des délibérations ;
– pouvoir hiérarchique sur le personnel ;
– Conflit entre P/APC et SG bien que le SG est sous l’autorité du P/APC.
Absence d’organes collégiaux
Par ailleurs, les commissions de l’Assemblée populaire communale (économie et finances ; aménagement du territoire et urbanisme ; affaires sociales, sportive et culturelle) peuvent jouer un rôle très important en matière d’études, d’analyses et de préparations de dossiers, voire même de la préparation de décision. Il est de même de faire une évaluation exhaustive des besoins de la population, de mener un programme dans les domaines du service public, du cadre de vie de croissance d’environnement, de contrôler les activités de l’exécutif communal… En réalité, les commissions ne disposent pas d’un cadre réfléchi (ou la «démocratie participative» devrait se manifester de force), pouvant s’inspirer pour mieux agencer un travail pour la qualité des services, des programmes et de leur bonne exécution.
Le résultat de l’activité des commissions est quasi nul (appréciation faite à ceux de l’APC de Beni Saf) dans la formulation de :
– la production d’études ;
– le rapport de formulation ;
– de propositions et de recommandations faibles ;
– absence totale de débat sérieux sur les problèmes de la cité, exception faite aux affaires personnelles «sous les coulisses» ;
– absence de concertation avec la société civile (comités de quartier) et autres partenaires de la cité ;
– la tutelle est absente par manque de suivi de l’activité de la cité, d’évaluation des problèmes de la cité, d’orientation et de contrôle de la collectivité.
L’absence remarquée des organes collégiaux, composés de la société civile (citoyens-associations-cadres-sages, partis politiques, différentes organisations), qui restent la forme la plus simple de la démocratie de proximité. Ce rôle est très important pour émettre un avis, une recommandation pour le bien de la cité suite à une étude d’un problème, d’un point de vue multidimensionnel et susciter un consensus autour d’une question donnée (consultation +concertation = démocratie).
«Le seul critère de réussite d'une collectivité devrait être sa capacité à ne pas exclure, à faire sentir à chacun qu'il est le bienvenu, car tous ont besoin de lui. A cette aune-là, le palmarès des nations est bien différent de celui proposé par les économistes.» Albert Jacquard : 1925-2013 – J'accuse l'économie triomphante -1995.
La responsabilité première de l’administration communale est de mettre tous les supports matériels, humains, réglementaires et administratifs dans le but d’améliorer le cadre de vie et le service public pour le bien du citoyen et pour le cadre environnemental de tous les acteurs ou agents économiques afin arriver à mettre en place un dispositif adéquat pour la croissance économique (lutte contre le chômage-emplois- solidarité sociale). Sa responsabilité couvre la régulation et le développement des réseaux (transport-eau- électricité- assainissement…) et d’hygiène- santé- loisir-sport- environnement… Ces missions ayant pour finalité le cadre de vie en général qui exige dans un autre côté des ressources ( moyens financiers-techniques- organisationnelles) avec des capacités de management permettant d’ éliminer tous les facteurs et paramètres de freinage pour le développement de la commune.
Quels sont ces faiblesses et ce dysfonctionnement qui ne permettent pas de favoriser les 3 E (efficacité-efficience-économie) et la qualité des services rendus aux citoyens ? Faiblesses des moyens humains (taux d’encadrement-mauvaise gestion des ressources humaines «RH» (évaluation- contrôle- formation- performance). L’archaïsme de l’organisation du travail au niveau de l’administration communale se fait remarquer dans :
– l’absence de la rationalisation du travail (évaluation et contrôle) («l’Etat fait semblant de les payer et le travailleur fait semblant de travailler») ;
– l’absence de guide de travail ;
– les tâches mal reparties ;
– l’absence de procédures (normes réglementaires) et l’inexistence de supports administratifs transparents ;
-l’absence de standards (normes de ratios de gestion) ;
– les mauvaises vision, coordination et orientation des services par le secrétaire général ;
– l’absence totale de prévisions (statistiques-programmes-résultats-bilan-chiffres…) ;
– l’absence de plan de développement dans les court, moyen et long termes ;
– l’absence de stratégie ;
– l’absence d’un programme de travail comme support pour l’administration ;
– l’absence d’objectifs par mandat d’APC.
En outre, la faiblesse du système de communication au niveau du cadre communal se traduit par :
– l’inefficacité des réunions (absence d’évaluation des résultats) ;
– la mauvaise circulation de l’information vis-à-vis des citoyens, des élus, des travailleurs et les agents économiques ;
– la commune connaît mal son environnement juridique-administratif-politique-économique-social et sociologique-culturel-technologique-spatial ;
– l’expertise manquante ;
– le conseil juridique inexistant ;
– la mauvaise exploitation des textes réglementaires ;
– la responsabilité nouvelle mal maîtrisée du nouveau cadre de l’économie du marché ;
– la régulation méconnue pour une meilleure politique publique locale ;
– la nouvelle gestion publique ;
– le manque de savoir dans la négociation avec les partenaires sociaux et opérateurs économiques.
Ces manquements laissent la commune en tant que première cellule de l’Etat atrophiée de ses missions qui relèvent de la puissance publique, ainsi que des missions dévolues à la promotion du développement et enfin à la mission de propriétaire des moyens de production.
L’exercice des missions de puissance publique devrait en principe suivre l’obligation de la qualité de services auquel devront prendre part les partis politiques par le biais du jeu de la compétition démocratique, et cultiver la notion du vote du citoyen via la sanction. Les modalités d’exercice de ces missions doivent procéder de l’esprit d’un nouveau système de planification pour une gestion de qualité. Les fonds de connaissance existent, mais les élus n’ont pas la capacité de les exploiter et c’est ici où réside la faiblesse des collectivités locales dans leur relation de concertation et négociation avec l’Etat. En effet, il n’est pas évident qu’un service public donné dont la réalisation exige des actions qui se rapportent au domaine économique soit pris en charge par l’administration communale. Les nouveaux modes de gestion plus efficaces comme les régies, l’établissement public à caractère administratif, économique ou commercial, sont utiles et nécessaires pour dégager des revenus supplémentaires pour la commune, la concession est aussi utile que nécessaire. Enfin, le nerf le plus sensible reste la fiscalité et les finances locales qui se mettent dans la mouvance d’une nouvelle réforme pour rétablir le lien entre les efforts et les résultats revenant à la commune, et ceci dans le but de se prendre en charge en matière du développement en général. Les ex-EPL ( entreprise publique locale) ont été créées, jadis, principalement pour doter les communes d’instruments efficaces de réalisation des actions entrant dans le cadre du développement local, leur mauvaise gestion et leur mauvais rendement dus au mauvais contrôle et absence de sanction et une mauvaise évaluation (développement du laxisme absolu) a permis à l’Etat de les dissoudre et de transformer toutes les actions se rapportant aux services publics vers des contrats avec les entreprises privées. La commune mobilise les moyens de réalisation selon les règles du marché, c’est la nouvelle conception qui devrait primer pour qu’enfin demain soit clair.
Mohamed Benallal
Elu à l’APC de Beni Saf
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