Un reportage d’Abdelkader Ben Brik – Il était une fois le Ramadhan à Oran
A une époque, Oran, à l’approche du mois du Ramadhan, changeait de look, se préparant à célébrer cet événement avec dignité. Tahtaha était le lieu de rencontre des Oranais et des visiteurs. A l’heure du maghreb, la fierté des Oranais était d’entendre le coup de canon qui signale la rupture du jeûne, remplacé dans les années soixante-dix par le coup de sirène, et puis toutes ces belles traditions et coutumes ont disparu. Oran s’est transformée en ville d’habitation avec une population venue de toutes les régions du pays. Oran a perdu son prestige, ses notables… et ses repères. Le mois de Ramadhan à Oran était joyeux et la Tahtaha était animée de jour comme de nuit par les conteurs, les meddah, les poètes, les chanteurs des halqa et les charmeurs. La nuit, c’était l’animation avec les chantres de la chanson bédouine. Les commerçants et les marchands de légumes, fruits et poissons étaient différents de ceux d’aujourd’hui, les ménagères de différentes couches sociales remplissaient leurs couffins sans aucune contrainte financière, malgré la pauvreté qui régnait dans le milieu d’une large partie de la population. On y trouve tous les produits pour toutes les bourses, sans augmentations sauvages de pseudo-commerçants qui chaque Ramadhan s’enrichissent au détriment d’une large couche de la population. Il n’y avait ni association ni syndicat des commerçants, et pourtant à chaque Ramadhan, on s’efforçait de baisser les prix des produits à large consommation. A l’ancienne époque, les gens n’étaient pas ceux d’aujourd’hui, c’était une génération cultivée et respectueuse. Les Oranais s’entraidaient, les éléments des services d’hygiène et des prix chômaient en permanence. A chaque sortie en mission de contrôle, les inspecteurs retournaient bredouilles et satisfaits. En fin de journée et avant la rupture du jeûne, les parcelles de terre de Ras El-Aïn et du bassin exposaient leurs produits frais, tomates, radis, persil, salade verte… Les fruits de tous genres ne manquaient pas et pourtant c’était une époque où l’eau douce manquait énormément à Oran. Le civisme primait à cette époque. Les Oranais, malheureusement, ont échoué dans la préservation de leur ville quelques années après l’indépendance, avant de sombrer dans une «décadence» qui a commencé à montrer ses signes depuis la disparition de la délégation spéciale au niveau de la municipalité et du parachutage de certains walis, chefs de daïra incompétents. La place d’Armes, qui a été réalisée au profit des piétons et des automobilistes, a été transformée avec un jet d’eau qui n’a jamais fonctionné convenablement.
A Oran, il est interdit de rêver
Toute cette richesse a disparu, l’hôtel Martinez a été démoli et chacun de nous reste perplexe par la désolation de la ville. Oran, ceinturée de bidonvilles et de constructions illicites sur les terrasses des beaux immeubles, manque de propreté, ses magasins ont perdu leurs enseignes lumineuses. Même ses journaux lumineux installés à la place du 1er-Novembre, place Roux et à la place des Victoires n’ont fonctionné que quelques jours avant de sombrer dans une panne technique qui dure depuis 1986. Aujourd’hui, Oran paie le prix fort de cette négligence et de cette catastrophe initiées par l’irresponsabilité de certains responsables locaux, walis et surtout les élus des deux Assemblées populaires, APC et APW, qui ne s’attendaient pas aux conséquences de la venue d’une nouvelle population venue des zones rurales qui s’est investie dans le béton, d’une manière anarchique et qui a été, jugeons-le, la cause de la destruction de l’urbanisme de cette ville. El-Bahia fait partie aujourd’hui des villes où il est interdit de rêver. La ville est devenue un grand et vaste douar, figée dans une lourdeur qui, à chaque coin de la rue, nous rappelle la morosité du quotidien d’une vie harassante. Fini le temps où Oran portait fièrement son titre d’El-Bahia. Toutes les tentatives pour rendre la ville agréable et la vie de ses habitants joyeuse ont été vaines. Bien au contraire, tout se fait pour la rendre insupportable. Une circulation automobile infernale, des égouts éclatés, des ordures entassées dans les ruelles pendant le jour, des câbles fixés anarchiquement sur les murs, des fuites d’eau potable au niveau des niches et des conduites, le carrelage des trottoirs endommagé, la saleté du parterre, en particulier dans les rues principales du centre, des stationnements de véhicules d’une manière anarchique, des énergumènes portant des gourdins squattent les ruelles pour imposer leur diktat, chaque automobiliste est racketté à la vue des responsables et des policiers. Des conducteurs de véhicule et d’autobus qui ne respectent pas le code de la route, des voies publiques squattées, des constructions illicites partout et sur des terrasses d’immeubles au centre-ville, des immeubles menaçant ruine, etc. Le spectre des agressions est partout, le citoyen ne s’aventure plus à la promenade de l’Etang où l’insécurité règne. Les Nuits de Liban, le Cyntra, le Champs-Elysées, le Gymnase, le Rancho, le Luna Club, le Baya Club, le Belvédère, lieux de distraction des anciens Oranais, font partie aujourd’hui de l’histoire ancienne. La pêcherie est devenue un luxe inabordable, La célèbre Tahtaha est polluée, ses voies d’accès, places publiques et ruelles squattées. Oran est victime de l’exode rural, de toute les régions du pays des gens y ont trouvé refuge après avoir mis leurs terres agricoles et demeures en location, la plupart se sont taillé illicitement des terrains pour y construire un toit précaire et mettre les autorités locales (absentes) devant le fait accompli. Le respect des lois n’existe plus, le langage du couteau, du poignard, du sabre, du fusil à harpon et de la hachette a pris le dessus. Des bus très sales circulent en toute quiétude, des véhicules épaves, des poids lourds vétustes et des tracteurs agricoles tractant des citernes d’eau traversent les postes de contrôle pour entrer en ville comme s’il s’agissait d’un douar ! Le refus de priorité se caractérise de plus en plus et parfois devant le regard d’un policier immobile et passif. Les autorités compétentes semblaient afficher une indifférence inquiétante. Le wali tout seul sur le terrain parle, accuse et insiste. Tout le monde semble absent. «Où allons-nous comme ça ?» se demandent les quelques Oranais «résiduels». Les injonctions du wali à l’encontre des responsables ne semblent avoir eu aucun effet. Visiblement, il paraît que les responsables locaux ont démissionné, dira un vieux fonctionnaire de mairie à la retraite. La direction de l’environnement ne semble pas concernée par cet environnement malsain et préjudiciable à la santé publique. L’amélioration du cadre de vie du citoyen n’est qu’un slogan creux pour les responsables locaux qui semblent se confiner dans leur petit standing quotidien, attendant une éventuelle mutation. Les associations censées contribuer à la protection de l’environnement font le dos rond à toute action de salubrité, prétendant plutôt s’atteler à protéger leurs petits privilèges et quelques relations pour vider leurs balivernes. Quelques associations demeurent malgré et en dépit de tout debout. Qui pourra sauver Oran, capitale de l’Ouest ? A vrai dire, la déception, l’amertume sont terriblement ressenties par les Oranais et les Oranaises. Quel dommage pour cette ville qui a donné naissance à tant de lumières, et de héros ! Elle crève à petit feu.
Une ville livrée aux prédateurs
Oran avait aussi de belles terres agricoles fertiles, qui faisaient la fierté de son agglomération, y compris la partie de Ras-el-Aïn. La déferlante destructrice, sous le prétexte de modernisation, n’a rien laissé sur son passage et a dénudé les terres fertiles par l’arrachage sauvage du tissu végétal, à savoir les vergers et les arbres d’ornement qui servaient à contenir l’érosion du sol. L’on a usurpé le droit de vivre aux paysans et aux citadins. A une époque, Oran, à l’approche de la saison estivale, changeait de look et se préparait à recevoir ses visiteurs. La corniche oranaise était une station balnéaire. La commune d’Oran recelait aussi des exploitations agricoles individuelles et collectives qui ont attisaient la convoitise de prédateurs pour y établir des projets immobiliers leur permettant d’engranger des milliards. Nous citerons deux exemples qui défient l’entendement : le cas de cette EAI située entre le cimetière d’Aïn Beida et la coopérative immobilière du «8-Mai-1945», qui a été acquise contre toute réglementation par un personnage se disant avoir des relations avec certaines autorités et qui érige un mur malgré le rejet de sa demande d’autorisation par le service de l’urbanisme pour présence d’un gazoduc et d’une ligne de haute tension. On sait aussi que les services agricoles ont émis, au départ, un avis favorable et que le directeur qui l’a signé a été muté. L’objectif de toute cette gymnastique étant, selon une source au fait du dossier, d’utiliser le terrain pour un projet immobilier. L’autre affaire et pas des moindres concerne une terre agricole d’un demi-hectare localisée du côté de haï Bouamama sur laquelle plusieurs habitations sont en cours de réalisation. Là, la forme a été mise puisque toute une procédure a été suivie pour son acquisition et sa transformation en terre urbanisable. Les services de l’APC, le responsable (élu) du secteur urbain notamment, en 2008, ont autorisé cette prédation en établissant un certificat d’urbanisme et un permis de construire ainsi qu’un permis de lotir pour une seule habitation alors qu’au moins cinq sont en train d’être érigées, ce que tout le monde peut constater sur place. L’initiateur de cette affaire s’est permis de revendre le reste. Il faut signaler que nous sommes en possession de l’entier dossier confirmant ces dépassements. Espérons seulement que les autorités concernées prennent les décisions qui s’imposent en mettant fin à cette gabegie qui ne fait qu’accroître le sentiment d’injustice qui prévaut au sein de notre société et préserver ce qui peut l’être de la prédation. Un grand nombre de constructions illicites est apparu à la limite du périmètre urbain de la ville d’Oran. On citera parmi les plus importants la zone d’El-Hassi, Coca, Pont-Albin, Chtaïbou, cité Amal et surtout Sidi Chahmi, sans oublier le hameau du stade Habib-Bouâkeul et enfin à proximité du cimetière de Aïn Beida. Les tentatives timides et pour la forme menées dans le passé par les autorités locales pour mettre fin à ce phénomène sont restées vaines. Les responsables reconnaissent que les actions ponctuelles menées jusque-là se sont toutes avérées inefficaces. Ils ajoutent que la mise en place de ces plans, leur application et leur suivi rigoureux ne devra laisser aucun espace marginalisé, non affecté qui risquerait d’accueillir ce type d’urbanisation. Parallèlement à ce schéma général, une étude de tous ces noyaux devrait aboutir à une meilleure connaissance de ce phénomène et des mécanismes qui lui ont donné naissance, ce qui permettrait sans doute d’apporter des solutions pour mettre un terme à son existence.
Des constructions illicites en location
Le phénomène est devenu un business, des constructions illicites, vendues et revendues, d’autres en location, le tout «géré» par une mafia qui gangrène la vie sociale en Algérie. L’autorité est devenue «impuissante» devant ce phénomène, on note une complicité indirecte des élus locaux, dont certains ont favorisé l’illicite pour gagner des voix lors des élections. Des coups que même le Diable n’évoquera pas ! Un groupe de citoyens nous déclarent que les vrais coupables de cette situation qui a clochardisé Oran sont les élus des APC et APW. D’autres citoyens nous ont indiqué que des élus et d’anciens fonctionnaires ont occupé illégalement des biens ou ont construit, sans avoir d’acte de propriété ou permis de construire, des habitations, voire des structures à usage commercial. Le premier noyau de cette concentration d’habitations illicites est apparu sur des terres rocheuses et marginalisées, puis s’est étendu aux terres forestières – cas de Canastel et El-Hassi – et, enfin, sur les terres agricoles publiques avoisinantes. Le choix de ce site reculé et caché s’explique par le souci d’échapper à tout contrôle administratif et de conserver partiellement le mode de vie rural. La majeure partie des occupants des constructions illicites est venue d’autres wilaya et régions, certains ont donné en location leurs terres agricoles et leurs maisons pour rejoindre la grande ville, acquérir un véhicule, s’ajoutant ainsi au nombre des transporteurs clandestins. Les regroupements de ces populations se font souvent en fonction de l’origine géographique. Ainsi, les originaires de l’Oranie se regroupent dans la zone appelée «Ronka», ceux des Hautes-Plaines (essentiellement Tiaret) dans une partie appelée «Oued Tiartia», et ceux de Sétif, de Naâma, de Saïda et d’El Bayadh se regroupent dans la partie centrale de Pont-Albin appelée «El-Hassi». Si nous prenons comme exemple la population du Pont-Albin, en 1987, cette population s’élevait à environ 5 000 habitants soit 0,8% de la population totale de la commune d’Oran. La pyramide des âges de cette population est une image réduite de celle de l’ensemble de l’Algérie (une base très large et un sommet pointu). Le taux des personnes mariées était de 34% et le nombre d’enfants scolarisables très élevé. Le nombre de constructions illicites était d’environ 773. Les surfaces des habitations varient de 100 à 1 000 mètres carrés. Quelle serait la situation aujourd’hui après 30 ans ? «Qui devrons-nous accuser de ces carence et fuite en avant des responsabilités», dira un membre de l’autorité. Il a été constaté, aussi, le grand nombre de ceux qui occupent illégalement des terrains domaniaux et leur seule justification est leur droit au logement. Certains justifient leur occupation et l’appropriation par des actes sous seing privé n’ayant aucune valeur légale. D’autres sont des locataires. Beaucoup sont ceux qui ont profité de l’absence de l’autorité pour s’approprier des terrains et y construire des maisons destinées à la revente ou à la location, au préjudice de la loi. Le cas de haï Bouâmama (El-Hassi), où une personne se prétendant «influente» a accaparé un terrain de 3 000 m2, face à l’ancienne station de carburant, pour le revendre ensuite en lots de terrain à bâtir en promettant à ses acheteurs de les régulariser ensuite. A Misserghine, plus de cent constructions illicites sont enregistrées au quartier «Rahma» (ex-Chantier), à Haï Rabah et au quartier El-Wiam (ex Saint-Pierre). Une chose est sûre, ceux qui défient la loi de la République ne sont nullement dans le besoin.
Abdelkader Ben Brik
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