Le clash de la gauche algérienne
Par Saadeddine Kouidri – En général, le citoyen se réfère à une victoire déterminante de son peuple, la plus récente en général, et qui fait l’unanimité quand il veut se situer dans la société politique. La majorité des citoyens serait certainement d’accord pour dire que cette victoire est la lutte de libération dont nous célébrons aujourd’hui le 54e anniversaire. La victoire contre le colonialisme français est notre trophée commun, à l’instar des Vietnamiens et de tous les peuples qui ont libéré leur patrie du joug étranger. Les Soviétiques, les Français… fêtent leur victoire contre le fascisme chaque année. Les dirigeants les plus déterminants dans ces luttes victorieuses étaient des communistes. Si la gauche dans un pays industrialisé est liée à sa classe ouvrière, c’est aussi parce que cette classe a été la plus conséquente dans la victoire de son peuple contre l’hydre nazie. La référence majeure de la gauche algérienne ne peut donc être à ce jour que le courant politique qui a décidé du déclenchement de la lutte de libération du 1er novembre 1954.
La majorité se réclamait du socialisme, que certains se sont précipités à qualifier de nationaliste. En réalité, ils sont les deux à la fois. La gauche qui s’était opposée au premier coup de force de l’Algérie indépendante était animée principalement par Boudiaf et Aït-Ahmed. Les deux leaders étaient à la fois pour le multipartisme et le socialisme. Pour mesurer l’ampleur de ce mouvement, il faut citer pour l’exemple Mohamed Boudia qui, sans être au PRS fondé par Boudiaf ni au FFS dirigé par Aït-Ahmed, menait un même combat, à l’instar de milliers d’autres, mais sans lien organique. Comment qualifier la divergence, ne serait-ce que celle de ces dirigeants de la lutte de libération et qui prônaient tous les deux le socialisme et le multipartisme ? L’empreinte de la gauche algérienne se caractérise à la fois par le socialisme et la démocratie, en opposition au parti unique et l’anti-démocratie. On peut dans ce cas écrire que la République démocratique et sociale inscrite à la Soummam, au premier congrès du FLN présidé par Larbi Ben-M’hidi, est sa marque déposée. C’est aussi la gauche qui s’était opposée au coup d’Etat du 19 juin 1965 au nom de cette Organisation de la résistance populaire qui s’est constituée contre cet acte antidémocratique. De cette ORP est né le PAGS qui était composé du PCA que dirigeaient Sadek Hadjeres et Bachir Hadj Ali et des membres de la gauche du FLN dont Hachmi Cherif. Si Boudiaf dissout le PRS au lendemain de la mort de Boumediene, il se trouve que certains militants et pas les moindres suggèrent que la fin du PAGS est à la même période : «En 1978, El-Houari décéda. Ce fut la fin du socialisme … Ce fut aussi la fin du PAGS !» écrivait cette année Rachid Boudjedra.
Cette coïncidence de partis socialistes d’opposition qui quittent la scène à la mort d’un président qui prônait lui aussi le socialisme reste cet autre paradoxe de la société politique algérienne et particulièrement celle de la gauche. Le PAGS serait-il né avec Boumediene et emporté avec lui ? Pourquoi un tel un avis ? Cet avis est non avisé, car le PAGS s’est divisé et mortellement, certes, mais pas au lendemain de la mort de Boumediene mais plus de dix ans après. Il s’est affaibli à cause de sa sortie prématurée de 1989, mais aussi à cause de sa longue et pénible clandestinité, pour rejoindre une société politique piégé par un acte anticonstitutionnel majeur qui est dans cette concession mortelle de Chadli, celle d’avoir agréé l’islam politique. Tout un courant de la gauche s’illustre par la négation de cet événement, à l’instar de la majorité des intellectuels nationaux et étrangers et leurs médias. Ils minimisent cette félonie de Chadli qui sape le moral de la résistance populaire à l’islamisme et porte un préjudice moral continu aux victimes du terrorisme et pas seulement. Des politiques pour enjamber cet acte ignoble et le faire oublier pointent la politique libérale comme le mal actuel dans notre pays et non pas ce goulot d’étranglement de la société qui est la légitimation anticonstitutionnelle de l’islam politique. L’affaiblissement du PAGS venait aussi de cette pratique de l’économisme et de son soutien critique dans une période où il devait s’opposer frontalement à la politique antisociale et antinationale de Chadli. Persister dans la politique du soutien critique était cette autre erreur fatale. Il faut rappeler qu’à la période où le colonialisme était en déclin, la gauche européenne parlait de la lutte anti-impérialiste et la gauche française préconisait l’assimilation. Est-ce par ignorance ou sciemment, ou les deux, ou est-ce juste pour dévier la lutte anticolonialiste des peuples ?
Cette politique d’assimilation ne les avait pas empêchés de tuer le 8 mai 1945, le jour de la victoire, 45 000 membres des familles de ceux-là mêmes qui venaient de libérer des villes françaises des mains du fascisme. Si les antifascistes et les anticolonialistes s’étaient dit : puisque le fascisme et le colonialisme sont des maux du capitalisme, pourquoi donc s’en prendre à eux ? On serait toujours face à l’impérialisme, face à son fascisme et toujours colonisés. Les maux que produit le capitalisme pour attiser sa guerre perpétuelle contre les peuples sont nombreux. La guerre structure son système, et elle est toujours actualisée par ses intellectuels qu’ils soient rétribués à cet effet ou non. Oui, tout découle de la nature du capitalisme, cela va sans dire, mais sans oublier que ce système domine le monde depuis des siècles et à supposer qu’il ait entamé sa chute, on ignore sa durée. Si la spécificité du capitalisme de 1830 à 1962 était le colonialisme, sa spécificité actuelle est l’anti-démocratie qui instrumentalise l’islam. Son antidote est dans la sécularisation et la démocratie sociale et politique.
S. K.
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