Lettre ouverte au nouveau wali de Boumerdès
Par Nordine Mzalla – Je dois d’abord vous remercier pour votre invitation à assister, en tant que journaliste, à la cérémonie d’installation prévue ce matin au siège de la wilaya. Mais vous comprendrez Monsieur le Wali, qu’après ce qui s’est passé dans notre commune de Chabet El-Ameur ce week-end, les rendez-vous mondains ont un goût d’amertume. Peut-être que le staff du cabinet de la wilaya a évité de vous faire part d’un accident mortel qui aurait pu être lui aussi «évité».
Savez-vous, Monsieur le Wali, qu’un jeune père de famille a trouvé la mort dans la nuit de jeudi à vendredi dernier, empalé sur les tiges de ferraille dépassant dangereusement d’un avaloir d’eau de pluie en cours de réalisation ? Cela peut ressembler à un accident malheureux si l’on ne sait pas que le chef-lieu de la commune est piégé en chaque rue, depuis des semaines, par plusieurs ouvrages d’assainissement pointant vers le ciel des pics assassins : à proximité des écoles primaires, au milieu de la chaussée, sur les axes routiers dépecés de leur vieux bitume à nids-de-poule, ces travaux s’inscrivant dans l’opération tardive et catastrophique de «l’aménagement urbain».
Un projet sectoriel préparé déjà lors du précédent mandat par l’APC, mais que les locataires actuels à la tête de l’exécutif local n’ont pas daigné encadrer par un suivi sérieux, se réjouissant que ces travaux relèvent de la direction de l’urbanisme et de la construction, comme si cela leur interdisait tout droit de… regard ! Si vous permettez le jeu de mots tragique. Avec l’obscurité complice due à l’absence d’éclairage public dans la rue principale du chef-lieu, le regard en béton armé inachevé, sans son tampon en fonte, a tué un citoyen de Chabet El-Ameur devant son domicile. La poitrine trouée, il a saigné pendant plus de deux heures, invisible dans le noir, pendant que son épouse désespérait de l’entendre rentrer à son retour de la fabrique où il exerçait en tant que gardien.
Pour avoir interpellé personnellement l’entrepreneur chargé du projet sur le danger de ces tiges de fer dressées à mi-hauteur d’homme, avant l’accident mortel, je crois savoir que c’est le diamètre desdits tampons, inadapté selon le cahier des charges, qui aurait retardé la pose de ces couvercles. Comment, Monsieur le Wali, expliquer à la population en général, et à la famille de la victime en particulier, que les tergiversations techniques du maître d’ouvrage ont pu assassiner un citoyen ?
Comment expliquer, Monsieur le Wali, à ces milliers de Chabétois tristes et en colère que les services de l’APC, au courant de la situation, n’ont pas su ni voulu intervenir pour prévenir le drame ? Aujourd’hui, c’est toute une commune et forcément des millions d’Algériens solidaires sur les réseaux sociaux du web, où circulent l’information et les photos des regards-baïonnettes, qui s’interrogent sur les responsabilités et les mesures punitives qui seront prises.
Tandis qu’une grève générale et une opération «village mort» coïncident avec votre installation en tant que nouveau wali, les citoyens de Chabet El-Ameur réclament pacifiquement une commission d’enquête ministérielle pour faire la «lumière» sur la mort tragique d’un Algérien, arraché à ses enfants par la faute de la négligence de commis de l’Etat qui réussissent à transformer l’action de développement en crime organisé.
Pardonnez donc, Monsieur le Wali, mon absence à la cérémonie pour votre installation où il est fort possible que des membres de notre APC défaillante soient présents, puisqu’ils n’ont visiblement rien à faire dans leur commune sinistrée.
N. M.
Journaliste et militant associatif
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