Patrick Mennucci à Algeriepatriotique : «La France doit assumer son passé !»
Algeriepatriotique : Vous êtes député socialiste à l’Assemblée nationale française, président du groupe d’amitié France-Algérie. Quels sont les grands signes d’un rapprochement entre les deux rives que vous pouvez citer à l’actif de François Hollande ?
Patrick Mennucci : Tout d’abord, le président Hollande a, dès le début de son mandat, mis l’Algérie au cœur de son action diplomatique en considérant votre pays comme un acteur stratégique majeur. En cela, il a rattrapé l’ère Sarkozy, marquée en ce domaine par de nombreux errements, rendez-vous manqués (je pense à l’Union pour la Méditerranée) et promesses non tenues. Ensuite, François Hollande a pris le parti d’assumer le passé, y compris ses aspects les plus douloureux, c’est ainsi qu’il a reconnu la responsabilité de la France dans les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata du 8 Mai 1945. De même, il a assumé que l’Etat français était responsable des massacres du 17 Octobre 1961 à Paris.
Ce travail de mémoire a permis de débloquer le dialogue entre les deux pays sur des bases constructives et permet de relancer la coopération bilatérale. Cela s’est traduit notamment par la mise en place de la grande commission France-Algérie au sein de laquelle de grands dossiers économiques ont pu trouver leur aboutissement. Je pense à Renault, Alstom et bien d’autres en gestation. Mais c’est surtout dans la lutte contre notre ennemi commun, le terrorisme, que les avancées sont les plus spectaculaires, la confiance restaurée a permis de rapprocher les points de vue sur ce sujet majeur pour nos deux pays.
Vous avez lancé une initiative au niveau du Parlement concernant la repentance quant aux crimes coloniaux perpétrés durant l’occupation française de l’Algérie. En quoi consiste votre démarche ?
J’ai effectivement déposé une proposition de loi portant reconnaissance de la responsabilité de la France dans les massacres du 17 Octobre 1961. Je ne parlerai pas de repentance, car ce terme est plus du registre spirituel que politique et n’apporte rien de plus au débat. Ma démarche consiste, dans le chemin tracé par François Hollande, à assumer le passé avec courage et lucidité afin de construire une relation forte pour l’avenir, dans le cadre d’un partenariat égalitaire et mutuellement profitable.
En bonne voie ?
Le processus d’examen suit son cours au Parlement, et j’ai bon espoir que celui-ci aboutisse avant la fin de la législature.
Le puissant lobby des nostalgiques de l’Algérie française a-t-il exercé des pressions sur votre personne ou sur votre groupe parlementaire ?
Ceux qui me connaissent savent que je suis par nature insensible aux pressions, d’où qu’elles viennent. Au contraire, celles-ci ont tendance à obtenir l’inverse du but recherché, en l’occurrence, renforcer ma détermination.
Combien de signatures avez-vous récoltées à ce jour ?
Une centaine de mes collègues du groupe socialiste m’ont fait l’honneur de cosigner ma proposition de loi.
L’Allemagne vient de demander des excuses, par la voix d’Angela Merkel, pour ses entreprises colonialistes passées. L’Australie l’avait fait, il y a quelques années, par rapport aux autochtones aborigènes, pourquoi la France traîne-t-elle à assumer son passé, selon vous ?
Même si les situations historiques sont difficilement comparables, je crois que la France a un problème spécifique lié aux conditions douloureuses, parfois dramatiques, dans lesquelles s’est déroulé le processus de décolonisation, en particulier en Algérie. Je ne sous-estime pas non plus le poids des groupes de pression auxquels vous avez fait allusion. Enfin, la France subit, comme malheureusement l’ensemble du monde, une vague réactionnaire sans précédent, ce qui rend l’opinion publique plus rétive à un discours de vérité sur la mémoire. Encore une fois, la seule attitude responsable consiste à assumer le passé afin de dégager la voie pour le présent et l’avenir.
Marseille abrite cycliquement des rencontres dans le cadre de la Semaine économique de la Méditerranée (SEM). Celle de cette année a eu lieu début novembre. Comment ce rendez-vous s’est-il déroulé ?
Je me suis effectivement rendu à cette conférence dont le thème cette année était «Pour une Méditerranée connectée». Des acteurs économiques et institutionnels de premier plan ont apporté leur contribution. C’est avec ce genre d’initiatives concrètes que l’on rapprochera véritablement les deux rives de la Méditerranée, aussi bien sur le plan économique que culturel.
La France a été frappée de plein fouet par une série d’attentats et le péril terroriste persiste. Pensez-vous que les mesures prises permettront à la France de faire face au terrorisme islamiste dont la menace grandit, d’autant plus que le conflit en Libye et en Syrie perdure ?
Le terrorisme barbare, lâche et aveugle a effectivement frappé mon pays en plein cœur. La réaction des autorités, avec en tête le président de la République, a été à la hauteur du défi lancé, en conjuguant les mesures d’urgence exigées par la situation avec le respect des libertés fondamentales. Mais la meilleure réponse, et notre meilleure arme contre le terrorisme, c’est le peuple français qui l’a donné, par sa réaction d’unité autour des valeurs de la République, en refusant les amalgames qui font le jeu de nos ennemis.
Cela dit, la guerre contre le terrorisme sera longue, difficile et nécessite une étroite coopération entre tous les pays concernés. Mais si nous restons unis autour des valeurs humanistes que nous partageons tous, nous parviendrons, comme l’a fait l’Algérie, à éradiquer ce cancer.
Vous arrivez à la fin de votre mandat, les relations France-Algérie pourraient-elles souffrir, à votre avis, d’une présidence de droite qui aurait bâti son discours sur des idées populistes ?
Il est clair que les déclarations de François Fillon, assimilant la colonisation à un soi-disant «partage des cultures», n’augure rien de bon en cas d’alternance en mai 2017. Plus généralement, la droite française est plus que complaisante avec les idées réactionnaires, xénophobes et racistes qui se déchaînent à l’heure actuelle, et cela ne peut être sans conséquences sur les relations avec les pays d’Afrique et du Maghreb.
En cas de défaite de la gauche à la prochaine élection présidentielle française, continuerez-vous à défendre l’amitié entre les deux peuples ? Comment ?
Je me battrai d’abord de toutes mes forces pour que la gauche remporte les prochaines échéances électorales. Ni la droite version Thatcher et encore moins l’extrême-droite ne résoudront les problèmes auxquels est confronté mon pays, bien au contraire. Je continuerai à défendre mes convictions, en tant que parlementaire, si les électeurs marseillais me renouvellent leur confiance, et de toutes les façons, en tant que militant et citoyen, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que s’établisse une relation forte, fraternelle et durable entre la France et l’Algérie. C’est à la fois le sens de l’histoire et l’intérêt de nos deux pays.
Faites-vous partie de ceux qui croient que Marine Le Pen pourrait gagner la présidentielle ?
La victoire de Donald Trump aux Etats-Unis montre que l’ensemble de la planète est touchée par un phénomène réactionnaire dont les ressorts profonds sont la peur de l’autre, la xénophobie et le populisme. Mon pays n’est pas à l’abri de cette vague. Dans ce contexte, l’hypothèse du pire, c’est-à-dire l’accession au pouvoir de l’extrême-droite, n’est absolument pas à exclure, surtout si la gauche ne se montre pas capable de surmonter ses divisions.
Entretien réalisé par Akli Tira
Comment (20)