Saïda Benhabyles à Algeriepatriotique : «Ceux qui attaquent l’Algérie au sujet des migrants se ridiculisent»
Algeriepatriotique : Une campagne de dénigrement est menée par des médias français et marocains contre l’Algérie dénonçant de prétendues maltraitances subies par des migrants subsahariens. Que répondez-vous à cela ?
Saïda Benhabylès : Ma réaction est celle d’une citoyenne algérienne avant d’être celle de la présidente du Croissant-Rouge algérien (CRA). Je voudrais rappeler que depuis 1962, l’Algérie a été le berceau des mouvements de libération en Afrique. Où est allé Mandela ? En Algérie. Et les révolutionnaires d’Angola ? Ils sont venus en Algérie aussi. Et j’en passe… Ajouter à ceux-là tous les cadres des nations africaines qui ont fait leurs études en Algérie gratuitement. Il ne faut pas oublier les liens de fraternité et de solidarité qui unissent les peuples africains et le peuple algérien. Il faut aller voir dans les régions du Sud : Béchar, Illizi, Djanet, etc. Il y a des familles nées de mariages entre des Algériennes et des Maliens, des Algériennes et des Nigériens et beaucoup de Maliennes ont épousé des Algériens. Il y a eu un événement très important qui a renforcé plus les relations de fraternité et d’amitié historiques entre les peuples africains et l’Algérie, c’est la sécheresse de 1984. Ces sécheresse et famine terribles ont tué beaucoup d’Africains. Qui a accueilli les Africains qui ont fui ? C’est l’Algérie. Certains ont même opté pour la nationalité algérienne. On les retrouve élus dans les Assemblées populaires communales. Tout cela pour vous démontrer la profondeur des relations historiques de fraternité qui lient l’Algérie à ces peuples. La déstabilisation de la région du Sahel, en 2011, a provoqué ce grand flux migratoire. Je voudrais rappeler la déclaration de l’ancien Haut Commissaire pour les réfugiés des Nations unies, qui est actuellement le SG de l’ONU, lors d’une réunion à Genève où j’étais présente : «Jamais le désastre humanitaire n’a été aussi profond depuis la Seconde Guerre mondiale.» Pour ce qui est de notre région, l’Algérie était contre le bombardement de la Libye par l’Otan. Parce qu’elle a eu une vision futuriste. Elle est consciente des conséquences de cette initiative des va-t-en-guerre sur la situation sécuritaire et humanitaire dans la région.
Aujourd’hui, ceux qui nous critiquent et nous attaquent ont soutenu cette guerre. S’il y a quelqu’un qui doit être dans le box des accusés, c’est loin d’être l’Algérie, mais bien eux. Alors, il ne faudrait pas que la victime devienne bourreau, et ce dernier devienne victime. Ces attaques ordurières me rappellent les années 1990. C’est le même scénario sous un autre slogan. Ils ont tué nos victimes du terrorisme deux fois. Ces victimes ont été tuées par les terroristes et par le fameux slogan «qui tue qui». Si vous comparez l’origine et les tenants de cette attaque contre l’Algérie dans le domaine humanitaire, aussi bien à l’étranger que leurs échos à l’intérieur du pays – je parle de certaines associations –, vous trouverez que c’est les mêmes qui ont soulevé le «qui tue qui» qui critiquent et attaquent l’Algérie sur sa politique humanitaire. Il est bon de signaler que la politique humanitaire de l’Algérie émane de ses valeurs ancestrales et de sa culture. Il y a tout un capital culturel et historique derrière nous et rien ne peut l’ébranler. Une partie de ceux qui nous attaquent s’est même ridiculisée. Ils tirent à boulets rouges sur l’Algérie, alors qu’ils devraient se taire, car le dernier problème de décolonisation qui reste posé en Afrique et dont souffre un peuple africain, c’est le peuple sahraoui. Nous leur demandons de se soumettre à la décision de la communauté internationale et d’appliquer les résolutions des Nations unies pour l’organisation d’un référendum dans le cadre du droit des peuples à l’autodétermination, et ceci est un droit sacré pour les Africains. Alors, avant de donner des leçons à l’Algérie, qu’on commence à remplir ses devoirs. Ils sont défaillants. Ce sont des colonisateurs ; ils n’ont donc pas le droit d’attaquer un pays et son peuple qui ont aidé et soutenu les révolutions africaines.
Dans le communiqué du ministère des Affaires étrangères, il est noté que l’objet de cette campagne ordurière concerne l’opération de reconduction à la frontière de 1 400 migrants illégaux africains…
Pour revenir à l’actualité d’aujourd’hui, j’ai sous les yeux le communiqué du gouvernement du Niger qui explique les raisons qui l’ont poussé à demander au gouvernement algérien de l’aider à rapatrier ses ressortissants. Je lis : «Le déplacement de ces populations très vulnérables, organisé dans le cadre d’un réseau criminel opérant à la fois au Niger et en Algérie par des Nigériens, se fait dans des conditions périlleuses, occasionnant des pertes humaines. Fortement préoccupé par l’ampleur de ce phénomène, le gouvernement de la république du Niger a décidé d’organiser, en concertation avec les autorités algériennes et l’assistance technique de l’Organisation internationale des migrants, une opération de rapatriement humanitaire de ces Nigériens en situation de vulnérabilité extrême et sans emploi en Algérie.» L’Algérie a répondu à cet appel et le Croissant-Rouge a été chargé de l’encadrement humanitaire. Conformément à notre culture et par respect à la dignité humaine, nous ne médiatisons pas la misère humaine ni ce que nous faisons pour les autres. Nous n’aimons pas exploiter. Ce que je dénonce actuellement, c’est l’exploitation révoltante de la misère et du désarroi des autres à des fins politiciennes, comme le font ceux qui mènent cette campagne tambour battant contre l’Algérie.
Il est précisé dans le même communiqué que des atteintes récurrentes à l’ordre public ont été commises, notamment à Alger, où des dépassements graves ont été enregistrés, en particulier des actes de vandalisme et des agressions contre des bénévoles du Croissant-Rouge algérien. Pouvez-vous nous donner plus de précisions ?
Depuis décembre 2014, nous avons rapatrié 18 446 migrants conformément aux normes internationales. Parfois plus… C’est du cas par cas en ce qui concerne les trousseaux. On ne peut pas faire plus. Pour cette dernière opération, ce n’est pas notre rôle d’enquêter. Il y a les services de sécurité qui ont fait leur enquête. Selon leurs rapports, il y a des groupuscules qui menacent la sécurité publique. Et vous avez vu ce qui s’est passé à Dély Ibrahim. La population s’est plainte. A partir de la prière du maghreb, c’est le couvre-feu. Les gens ne peuvent plus sortir, craignant pour leur sécurité et leur vie. Il y a la drogue, les proxénètes et des réseaux qui exploitent les enfants. Les services de sécurité ont démantelé certains de ces réseaux et les pouvoirs publics ont jugé utiles, pour que cela ne dégénère pas, de soulager la capitale qui n’est pas conçue pour recevoir ce nombre important de migrants. Certains ont été installés à Tamanrasset et les responsables de délits ont été rapatriés, en coordination avec les autorités de leurs pays. Quand à l’aspect humanitaire, j’irai plus loin. Ce petit groupuscule a saccagé le centre du CRA de Zéralda et des membres ont été blessés. Le coordinateur général du CRA, une jeune femme bénévole, a reçu un coup à la tête et a été hospitalisée pendant trois jours… Un autre a été blessé. Nous avons préféré ne pas en parler, car nous savons que c’est les risques du métier. Mais certains médias sont allés plus loin en racontant qu’il y a eu trois morts maliens. C’est un mensonge ! C’est vous dire comment on essaie de noircir le tableau. C’est une attaque contre le peuple algérien.
Pourquoi ces migrants ont-ils attaqué les bénévoles du CRA ?
Parce qu’ils ne voulaient pas quitter la capitale et se rendre à Tamanrasset. Nous n’avions pas assez de données sécuritaires, mais nous avions les témoignages des populations avec qui nous avons pris contact. D’ailleurs, je me demande pourquoi les médias n’en parlent pas, peut-être parce que cela rehausse l’image de l’Algérie. A Ouargla, il y a eu des confrontations entre les migrants et la population et un des jeunes d’Ouargla a été tué par un migrant. De ce fait, les jeunes de la ville ont voulu se venger, mais c’est le père de la victime qui a lancé un appel au calme. Cela, personne n’en a parlé. Durant le rapatriement des Nigériens, nous avons perdu deux Algériens, dont un bénévole, dans un accident de la circulation. Il y a eu des victimes nigériennes. Cela s’est passé en 2014 au niveau de la wilaya de Ghardaïa. Nous ne pouvons pas dire que les Algériens sont racistes. Et ces accusations ne sont pas contre le gouvernement uniquement. C’est une atteinte aux valeurs du peuple algérien. Les Algériens n’ont jamais été racistes. Ils ont de tout temps été généreux et humanitaires, et ce, quelles que soient leurs conditions sociales.
A combien estimez-vous le nombre de migrants en Algérie ?
Je ne peux rien avancer. Les seuls chiffres dont je dispose sont ceux des rapatriés. Pourquoi ? Parce qu’on s’occupe d’eux. Vous savez, un jour, vous avez dans un centre mille personnes et le lendemain vous en trouvez cent. Nous ne faisons pas de listes. Nous, on leur court après. Là où il y a des rassemblements, dans les jardins publics, les gares, et ce, à travers tout le territoire, nos équipes se déplacent constamment pour les aider.
Sont-ils systématiquement rapatriés ?
Ils sont tous à Tamanrasset. Sauf ceux qui font l’objet d’enquêtes par nos services de sécurité, qui travaillent en étroite collaboration avec leurs gouvernements. Tout le monde est installé à Tamanrasset, mais il reste quand même quelques-uns ici. Et la capitale n’est pas conçue, encore une fois, pour recevoir tout ce monde. Ils sont sur les autoroutes mettant leur vie en danger ; si un d’entre eux est renversé, cela va encore alimenter la polémique. Il y a le froid qui arrive et nous n’avons pas des structures adéquates pour les accueillir. Certains sont placés dans des centres de jeunesse qui ne sont pas conçus pour ce genre d’opérations. En revanche, à Tamanrasset, il y a des possibilités. Quand vous voulez juger d’une politique humanitaire, il faudrait axer sur certains aspects : la couverture sanitaire, l’enseignement et la sécurité. Pour la couverture sanitaire, tout est gratuit. La chimiothérapie, l’hémodialyse, les analyses, les interventions chirurgicales… sont toutes gratuites. A Tamanrasset, où il y a le plus grand pourcentage de migrants, quand un malade ne peut être soigné là-bas, il est évacué par avion dans l’un des hôpitaux d’Alger. Il y a quelques cas de sida à Tamanrasset qui sont traités gratuitement. Il y a des Maliens et des Nigériens qui viennent se soigner puis repartent dans leurs pays. Il y a aussi le cas des femmes enceintes et des enfants circoncis qui ne rentrent chez eux qu’après totale guérison. Pour la scolarisation, l’enseignement est gratuit ainsi que les fournitures scolaires. Avec les Syriens, nous n’avons pas de problème de scolarisation, car ils sont stables. Pour les migrants africains, il y a un faible taux de scolarisation dû à leurs familles qui se déplacent d’un endroit à un autre. Chose qui ne permet pas à l’enfant d’être scolarisé.
Pouvez-vous nous dire un mot sur la politique humanitaire des pays voisins, le Maroc par exemple ?
Le Maroc fait dans la politique de conjoncture. La priorité est de régler ce problème de décolonisation en Afrique, puisque nous parlons de l’Afrique. Et s’il est vraiment africain et solidaire avec les Africains, qu’il respecte la résolution de la communauté internationale qui appelle à organiser un référendum pour que ce peuple africain exerce en toute liberté son droit à l’autodétermination. Nous ne pouvons comparer l’or à autre chose. L’Algérie a un capital humanitaire, notamment avec l’Afrique, derrière elle. Personne n’oubliera ce qu’a fait l’Algérie pour les mouvements de libération. J’en parle maintenant parce qu’il faut bien répondre, mais nous sommes très à l’aise et nous avons la conscience tranquille. Nous sommes des musulmans et l’islam ce n’est pas des apparences. C’est des valeurs. Les observateurs nous reprochent de fermer les yeux sur la mendicité, mais avouent que «le peuple algérien est très généreux», et nous sommes fiers qu’on dise que le peuple algérien est très généreux.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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