Qui suis-je et qui est le «sale» type ?
Par Kadour Naïmi – Dans le monde, chacun constate l’apparition et l’aggravation de conflits du genre ethnique ou religieux. En Algérie, les uns s’opposent aux autres. Posons des questions et laissons à la lectrice et au lecteur le soin d’y répondre.
Hier, l’indépendance nationale fut-elle conquise par les «Arabes» ou les «Amazighs», par les musulmans ou non musulmans ou, au contraire, par les Algériens en tant que dominés et exploités par le système colonial ? Durant la lutte de libération nationale, qui était l’ami du peuple algérien : un bachagha musulman collaborant avec les autorités coloniales ou un «pied-noir» chrétien ou communiste luttant avec le Front de libération nationale ? Quand, juste après l’indépendance, les patrons et ingénieurs colonialistes ont abandonné usines et fermes, les travailleurs (ouvriers ou paysans) ont assuré la continuité de la production, en instituant spontanément des comités d’autogestion, ont-ils agi comme travailleurs tout simplement ou comme «Arabes», «Amazighs» musulmans ou non musulmans ?
Aujourd’hui, pour un Algérien exploité économiquement (par ceux qui accaparent une partie du produit de son travail), dominé politiquement (par ceux qui lui confisquent le droit de décision sur la gestion de son pays) et exclu socialement (des droits humains fondamentaux, telles la jouissance des ressources naturelles de la nation, la liberté de s’exprimer et de s’associer, la possibilité d’un travail digne ou d’émigrer), où est la différence entre le fait d’être dominé-exploité-exclu par un membre de son ethnie ou de sa religion ou d’une ethnie ou religion diverses ?
Autrement dit, la domination-exploitation exercées par un «Arabe» sur un «Arabe», par un «Amazigh» sur un «Amazigh» ou par un musulman sur un musulman sont-elles moins cruelles que celles d’un «Arabe» sur un «Amazigh» ou vice-versa de celles d’un musulman sur un non-musulman ou vice-versa ?
Qui donc tire profit de ces distinctions ethniques ou religieuses ? N’est-ce pas l’exploiteur et le dominateur, quelle que soit son ethnie ou sa religion ? Par conséquent, qui a inventé et propagé ces oppositions sinon celui qui veut occulter l’exploitation-domination-exclusion de la majorité des citoyens algériens par une minorité d’entre eux ? Pour l’exploité-dominé-exclu, quelle est l’identité prioritaire et, par conséquent, l’exigence fondamentale : ne plus être exploité-dominé-exclu ou être d’une telle ethnie ou d’une telle religion ?
Pour se libérer de la domination-exploitation-exclusion qu’il subit, le citoyen a-t-il intérêt à s’unir avec un membre de son ethnie ou de sa religion, malgré le fait que ce dernier le domine-exploite-exclut ? Ou, au contraire, l’intérêt du dominé-exploité-exclu est de s’unir avec son compatriote soumis à la même situation que lui, bien qu’il soit d’ethnie ou de religion différente ?
Quand un citoyen, oubliant sa situation de dominé-exploité-exclu, traite son compatriote de «sale Arabe !» ou de «sale Amazigh !» ou encore de «sale kafer !» ou de «sale musulman !», agit-il pour se libérer de sa domination-exploitation-exclusion ? L’unique juste expression ne devrait-elle pas être «sale exploiteur !» et «sale dominateur !», sans considération d’ethnie ni de religion ?
Mieux encore : plutôt que d’insulter, ne vaut-il pas mieux trouver le moyen de se libérer de ces sangsues humaines ?
Aussi, quand un citoyen dominé-exploité-exclu méprise l’ethnie ou la croyance de son interlocuteur, sans se rendre compte que ce dernier est, lui aussi, dominé-exploité-exclu, ne doit-on pas conclure que le méprisant est soit un malheureux, ignorant d’être manipulé par ses exploiteurs-dominateurs, soit un provocateur, payé par ces derniers pour détourner l’attention de l’exploité-dominé-exclu de son réel ennemi ?
Dans toutes les sociétés et à toutes les époques, diviser (les exploités-dominés-exclus) pour régner (sur eux), n’est-elle pas la règle fondamentale des exploiteurs-dominateurs, quelle que soit leur ethnie ou religion ?
Quelles solutions ?
Si, dans le passé, le colonialisme exploiteur-dominateur fut vaincu par les Algériens agissant en tant qu’exploités-dominés-exclus, aujourd’hui, le système exploiteur-dominateur interne peut-il être vaincu autrement que par les citoyens agissant de la même manière ? N’est-ce pas uniquement en agissant ainsi que la différence d’ethnie ou de religion ne sera plus un facteur de haine, de division, d’exploitation et de domination, mais de coopération solidaire ?
Lectrice et lecteur, si ces considérations vous paraissent utiles, ne vous semble-t-il pas bon et urgent de les faire circuler le plus possible, encore mieux, de les traduire en arabe dialectal et en tamazight afin que le maximum de citoyens les connaissent, les discutent et empêchent l’amoncellement des noirs nuages ethnico-religieux qui menacent de diviser la patrie ?
Comme toujours et partout, la partie du peuple qui en souffrira le plus en larmes et en sang ne sera-t-elle pas, d’abord et principalement, celle des exploités-dominés-exclus ?
K. N.
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