Une contribution d’Arslan Chikhaoui – Les cent jours de Trump pour asseoir son modèle
L’élection en 2016 de Donald Trump face à l’establishment américain, le vote des Britanniques en faveur du Brexit (sortie du Royaume-Uni de l’UE) et l’accord historique de l’Opep pour la réduction de la production de pétrole pour une relance des prix sur le marché, initié par la réunion informelle d’Alger, semblent être les prémices d’un nouvel ordre mondial. L’élection de Trump a été pour beaucoup une grande surprise. Selon nombre d’observateurs, il est arrivé au pouvoir par le tremplin populiste. Son leitmotiv était la réhabilitation de la classe moyenne ignorée et négligée. Sa campagne visait à ramener les emplois dans le secteur manufacturier, une sorte de new deal qu’il promet.
Le président Trump a étonné la nation américaine et le monde en publiant une pléthore d’ordres exécutifs dans les premières semaines de son mandat. Le style directif du président Trump a pris le monde par surprise et introduit un degré d’incertitudes ou même de secousses dans les relations politiques et économiques internationales. Jusqu’à présent, Donald Trump a choisi de communiquer au monde à travers des tweets, qui ne sont ni basés sur l’analyse ni sur la politique. Ses tweets ont le plus souvent un grand effet immédiat, mais qui s’amenuisent ensuite. Les ordonnances exécutives ont été publiées sans délibération et sans même en étudier l’impact politique et légal, mais elles remplacent de facto pendant une certaine période la loi jusque-là en vigueur. De même, les ordres exécutifs ne sont ni suffisamment en réseau ni transmis à l’Exécutif et, par conséquent, les fonctionnaires sont le plus souvent incapables de les mettre en œuvre.
En réalité, pour les observateurs les plus avertis, toute cette manière de faire tapageuse, qui s’apparente à un manque de cohérence et de vision, est une véritable stratégie dont le modus operandi du président Trump est en adéquation avec son style de gestion, où il a apparemment voulu créer une sorte de «chaos» et voir quelles seraient les retombées. C’est une technique de gestion souvent utilisée par les manageurs redresseurs d’entreprises dont les résultats ont été éprouvés. De mon point de vue, par sa tactique, il dispose de cent jours pour tester le système dont il hérite et préparer les mécanismes d’ajustement pour l’adapter au nouveau contexte. En un mot, il considère que ce système est en faillite et qu’il devrait le redresser. Concomitamment, il balaye d’un revers et discrédite le «yes we can» de son prédécesseur Barack Obama. Il brandit de ce fait le patriotisme fédérateur avec «l’Amérique avant tout» et le sens de l’intérêt centrique en paraphrasant Winston Churchill : «Nous n’avons ni amis ni ennemis, nous n’avons que des opportunités.»
La décision du président Trump d’empêcher les immigrants et les réfugiés de certains pays musulmans (Syrie, Irak, Iran, Yémen, Somalie, Soudan et Libye) d’entrer aux Etats-Unis pendant quatre-vingt-dix jours (limite des cent premiers jours de son mandat) constitue un point important dans le modus operandi de son style de gestion. Le «chaos» s’en est suivi dans les aéroports du monde entier, alors que les autorités de l’immigration et les compagnies aériennes étaient totalement mal préparées. L’ordonnance exécutoire a été temporairement suspendue par un tribunal du district de Seattle. Les appels du département de la Justice n’ont pas eu grand effet. Une fois qu’il aura suivi son processus devant les cours d’appel, la question se terminera à l’approche des cent jours, et ce, certainement pour des raisons constitutionnelles et procédurales.
Sur le plan des relations économiques internationales, d’une part, le plus grand relâchement économique du président Trump est jusqu’ici le Mexique, avec un glissement de la monnaie dépassant 20% depuis novembre dernier. Les incertitudes au sujet de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) ont un impact important sur les perspectives de l’économie mexicaine. L’Alena a créé des réalités au cours des vingt dernières années. Le risque, selon certains observateurs, est de compromettre six millions d’emplois aux Etats-Unis et de créer une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis provenant du voisin du Sud.
D’autre part, alors que le désenchantement du président Trump avec la posture agressive de la Chine en mer de Chine méridionale et d’autres mouvements ouvertement assertifs peuvent être compris. Cependant, certains observateurs mettent en exergue les préoccupations par rapport à son hostilité à l’égard du positionnement du pays dans le commerce international. Au cours des deux dernières décennies, la Chine est devenue la «boutique du monde» et est profondément intégrée dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. C’est pourquoi le président chinois Xi Jinping plaidait pour l’agenda du libre-échange lors de la récente réunion annuelle du Forum économique mondial de Davos. Le retrait américain du Partenariat Trans-Pacifique (TPP) a été une secousse en Asie-Pacifique. L’accord de douze pays excluait la Chine, qui avait travaillé dans le sens de la revitalisation de son propre accord dénommé «Accord commercial Asie-Pacifique (APTA)». Les observateurs insistent sur le fait que le retrait américain du TPP laisse la porte ouverte à l’APTA.
Enfin, le président élu Donald Trump se laisse vulnérable par son approche des affaires personnelles et des nominations de son entourage familial. Contrairement à la pratique, il a opté pour des processus flous sur la façon dont il veut être dissocié de ses affaires d’entreprises, évitant les conflits d’intérêts. De même, il esquive habilement la loi anti-népotisme de 1968, en désignant son gendre comme conseiller personnel sans nomination officielle, sachant pertinemment que ceci risquerait à terme de se retourner contre lui.
Un bémol par contre dans toute cette situation qui semble aux contours chaotiques : son programme de reconstruction des infrastructures américaines, qui rappelle le «new deal» qui créera des emplois et favorisera la croissance économique, tout comme ses propositions visant à réformer la structure fiscale des entreprises qui libérera des fonds et qu’elles pourraient investir aux Etats-Unis, sont bien accueillis. Son souhait de restructuration du cadre réglementaire dans le secteur financier a été également bien accueilli par Wall Street. Il est confirmé par certains experts que bon nombre de lois imposées après la crise financière, comme par exemple la loi Dodd-Frank, étaient trop onéreuses et coûteuses pour l’industrie.
Le coût administratif de la réglementation n’a cependant pas été le seul malheur de l’industrie financière américaine. Il est difficile pour les institutions financières d’être rentables avec des taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas. L’abrogation de la loi Dodd-Frank peut également remettre en question Bâle III et d’autres accords internationaux. En outre, si l’Administration Trump abroge des aspects, tels que la loi sur la protection du consommateur, elle annulera certaines garanties pour les investisseurs particuliers. Cette classe d’investisseurs est, après tout, le pilier des partisans de Donald Trump.
De même, le rapprochement proposé par le président Trump avec la Russie pourrait voir naître de nouvelles alliances et une redistribution des cartes en termes de géopolitique et d’activité économique. L’économie russe profiterait d’un assouplissement des sanctions, et les crises et guerres au Moyen-Orient seraient gérées par procuration entre la Russie, l’Occident, l’Arabie Saoudite, l’Iran, etc.
Cacophonie, gesticulation et décisions de type directif sont les instruments du modus operandi du manager-redresseur Donald Trump pour asseoir son autorité et ériger son mode de gouvernance afin d’entamer une réforme du système établi.
Arslan Chikhaoui
Membre du Conseil consultatif du WEF (Forum de Davos) ainsi que du Forum Defense & Security de Londres
Alumnus du NDU-NESA Center for Strategic Studies de Washington
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