Comment le Maroc utilise la détresse des migrants africains pour faire chanter l’Europe
Le Makhzen passe au chantage en utilisant les migrants subsahariens pour obliger la Commission européenne à ne pas appliquer la décision de la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) qui a décidé d’exclure le Sahara Occidental des accords commerciaux qui lient le Maroc à Bruxelles. Ces quatre derniers jours, Rabat a laissé 850 migrants africains pénétrer dans l’enclave espagnole de Ceuta, et donc dans l’Union européenne, en forçant la barrière frontalière. Un véritable record en si peu temps.
Le Centre de séjour temporaire pour les immigrants (Ceti) de Ceuta déborde de candidats à l’asile. Selon des sources locales, il y aurait 1 400 personnes pour une capacité d’accueil de 512. Pour les abriter, la préfecture a demandé à l’armée des tentes et une cuisine de campagne qui devaient être installées sur le parking d’un centre équestre voisin. L’enclave de Ceuta constitue avec celle de Melilla la seule frontière terrestre entre le continent africain et l’Union européenne (UE), et la surveillance est exercée par l’Espagne et le Maroc.
Impossible de ne pas lier cet événement avec la décision de la CJUE, dans la mesure où le Maroc avait déjà menacé il y a peu de relâcher le contrôle exercé sur les migrants qui, une fois sur le sol espagnol, peuvent demander l’asile, et s’ils l’obtiennent, s’installer dans l’UE. Le ministère marocain de l’Agriculture avait prévenu le 6 février que l’Europe s’exposait à un «véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d’un effort soutenu, a réussi à gérer». Autrement dit, le Maroc va utiliser les migrants comme de la chair à canon… une arme pour faire chanter l’UE.
Pour s’assurer que leur message sera bien entendu, les autorités marocaines se sont arrangées pour que «l’assaut» des migrants subsahariens contre Ceuta se déroule le jour même de la tenue d’un sommet bilatéral entre le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy et le président français François Hollande à Malaga, sur la côte sud de l’Espagne. Pourquoi spécialement Ceuta ? «L’objectif du Maroc à travers cette ouverture des vannes de la migration vise à exercer des pressions insoutenables sur le maillon faible de l’UE qu’est l’Espagne pour obliger cette dernière à venir à sa rescousse à Bruxelles», explique à Algeriepatriotique un expert des questions migratoires.
Le Makhzen a agi de la sorte, car il sait bien que la situation à Bruxelles n’évolue actuellement pas en sa faveur. Les «équipes mixtes» n’arrivent pas trouver un compromis «satisfaisant» sur les modalités pratiques de la mise en œuvre de l’arrêt de la CJUE. Les Marocains veulent donc forcer la main à la commission pour que cette dernière considère officiellement que l’accord agricole s’applique au Sahara Occidental, comme si l’arrêt de la CJUE n’a jamais existé. C’est la raison pour laquelle les autorités marocaines sont passées au chantage, un sport qu’elles affectionnent tout particulièrement.
Le Maroc et l’UE s’opposent sur l’interprétation d’un accord de libre-échange sur les produits de l’agriculture et de la pêche. Dans un arbitrage rendu fin 2016, la cour de justice européenne a décidé que le Sahara Occidental – ancienne colonie espagnole occupée illégalement par Rabat – n’était pas couvert par cet accord. Le Sahara Occidental est répertorié au niveau de l’ONU comme un territoire non autonome dont le peuple, les Sahraouis, est en attente d’un référendum d’autodétermination.
Khider Cherif
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